Christophe : L’association Paris Bar Rock s’est créée en 83-84 suite à la rencontre de deux personnes Rascal et Ronan. Ronan était dans le milieu artistique rock‘n’roll parisien, dessinateur, et Rascal venait de Londres où il avait vécu deux ans et où il y avait cette scène garage psycho qui apparaissait. Ils se sont rencontrés à Paris et ont décidé de faire quelque chose avec les groupes parisiens et anglais de cette époque. Comme à Londres les concerts se passaient dans les pubs ils ont cherché des rades pour organiser des concerts, de toute façon il n’y avait pas d’autres lieux. Il y avait bien quelques squats avec les Bérus ou Métal Urbain mais c’était très typé musicalement. De plus, organiser des concerts de rock dans les bars, ça n’existait pas en France à cette époque, que ce soit à Paris ou ailleurs. Ronan connaissait un bar, Chez Jimmy dans le 20ème arrondissement, ils ont donc commencé là, le mec était partant mais au bout de quelques concerts… fermeture administrative à cause du bruit. Il a pris six mois  ! Ils ont démarché un autre bar, L’Auvergne mais il s’est passé la même chose. Même si les voisins étaient au courant, il suffisait d’une plainte pour qu’il y ait une fermeture administrative. Tout ça c’était en 84-85, chez Jimmy il y a eu 36 concerts, à l’Auvergne, 16, ce qui représente à peu près 72 groupes.

Quelle était la programmation ?

Christophe : C’était le plaisir, ils écoutaient tous les deux toute la scène punk rock américaine de la fin des années 70, comme les Ramones, les Stooges, plus tous les groupes parisiens de cette époque comme Les Cherokees, Les Soucoupes Violentes, Les Pasadenas, qui étaient des jeunots à l’époque. Ils bossaient six mois et ils montaient sur scène, façon de parler parce qu’il n’y avait pas de scène, les concerts étaient remplis au taquet et on ne voyait pas grand-chose  ! Il y avait une sono voix et puis basta  ! C’était sauvage  !

La programmation paraît essentiellement parisienne et londonienne ?

Christophe : Je ne sais même pas si les groupes étaient payés, les concerts coûtaient trente balles ou étaient gratos, les patrons n’étaient pas trop généreux, quelques bières au plus, et, si on rajoute la location de la sono on ne pouvait pas se permettre de faire venir des groupes de province. Pour les groupes de la scène londonienne que Rascal connaissait, ils essayaient d’organiser une petite tournée pour pouvoir faire une date sur Paris, mais c’était toujours à l’arrache  ! Au fur et à mesure des gens se sont investis dans l’asso, des musiciens sont venus et ça a commencé à grossir. On a cherché des lieux plus grands, mais comme il n’y en avait pas on a fait quelques concerts dans des squats, mais c’était difficile de prévoir à l’avance, les squats ne tenaient pas longtemps… Dans la scène française de l’époque, quels étaient vos compagnons de route ? Christophe : Il y en a eu un en particulier, c’était les WAMPAS, du fait que Rascal était leur manager ils ont joué à outrance pour les Barrocks  ! Rires… Ils y ont fait leurs premières armes. Mais après, tout au long de l’histoire des Barrocks, il y a eu deux trois groupes qui étaient soutenus et qui jouaient quatre cinq fois dans l’année parce qu’on aimait bien les faire jouer et que c’était devenu des potes. Parabellum a aussi pas mal joué pour nous. De fil en aiguille, les musiciens se sont retrouvés, ils ont commencé à taper le bœuf et des groupes se sont créés au sein des Barrocks comme par exemple Los Carayos, créés à partir d’horizons et de groupes différents comme Hot Pants, Les Wampas ou Parabellum, ces mecs se sont mis ensemble pour proposer leur truc et on les a fait jouer. Pour la petite histoire, François Hadji-Lazaro faisait la sécu pour les Barrocks à l’époque. Il a ensuite rejoint l’asso. Quand L’Auvergne a fermé en 86, certaines personnes dans l’asso ont voulu faire des plus gros concerts, notamment avec l’Usine, pour faire tourner des groupes plus importants issus par exemple de la scène hardcore américaine, qui étaient prêts à venir jouer pour presque rien, d’autres ont voulu garder l’esprit d’origine il y a donc eu scission. C’est pour cela que Paris Bar Rock est devenu les Barrocks.

Peux-tu expliquer cette volonté de rester dans un esprit plus confidentiel, plus famille ?

Christophe : C’était plus lié a un problème d’accueil, d’espace, avec les groupes de hardcore ils réussissaient à faire venir 300 personnes. Il commençait à y avoir quelques salles comme Capsul Rock ou Le Fahrenheit qui pouvaient accueillir ces concerts donc à partir de là pourquoi rester dans les bars ? Petit à petit le fait de rester dans les bars est devenu un choix, c’était convivial, ce n’était pas compliqué à organiser.

L’organisation d’un concert Barrocks c’était quoi ?

Christophe : C’était à la bonne franquette, ça se faisait sur le coin d’un rade, des concerts pouvaient se monter en une semaine. Ce n’était que du bouche à oreille, très peu de tracts, très peu d’affiches. De toute façon, début 83 il n’y avait pas 200 disquaires à Paris. Quasiment tout se faisait par téléphone, untel appelait untel et tu te retrouvais vite avec du monde aux concerts.

C’est plus tard que vous avez sorti les petits fanzines ?

Christophe : Oui, il y avait des petites annonces, des infos, des présentations de groupes, c’était un peu la feuille de chou de l’association pour dire où on en était, pour des appels à soutien pour des concerts qui s’étaient cassé la gueule, on expliquait la situation aux gens.

Vous étiez branchés graphisme ?

Christophe : Ronan était dans cette scène de dessinateurs figuratifs, il connaissait plein de monde. Plein d’illustrateurs traînaient dans les concerts et faisaient certaines affiches, c’était toujours à la bonne franquette, on ne refusait jamais une affiche, même si elle était illisible ou qu’elle était à chier, du moment qu’il y avait toutes les infos dessus.

Le rythme était d’un concert par semaine quasiment ?

Christophe : Ça a pu être un concert par semaine, mais c’était variable, il pouvait y avoir deux mois sans rien s’il n’y avait pas de lieu. C’était surtout un problème de lieu, et puis peut être que certains groupes sont devenus un peu plus exigeants au niveau du cachet et des conditions de scène, parce que jouer avec une sono devant 150 personnes alors qu’il n’y en a que 20 qui te voient ça va bien une fois, deux fois mais après… C’est pour ça qu’ils avaient investi cette salle dans le 15ème qui pouvait contenir 500 personnes, parce que les 500 personnes, elles étaient là à chaque fois  !

C’était en 87 après L’Auvergne ?

Christophe : Après L’Auvergne il y a eu un cinéma, c’était Le Berry, qui est maintenant une salle de spectacle à Belleville. C’était un vieux cinéma de quartier qui vivotait avec une programmation de fond de catalogue, ils ont branché les proprios pour faire des projections de films de série Z avec le concert après. Il y a eu seize concerts, 48 groupes, c’était un peu la déconnade parce que c’était une salle de spectacle où tu fumais, tu buvais, c’était quelque chose que tu ne verras plus jamais… C’est plus tard, en 89 qu’il y a eu Marius Magnin, à Pernety et en même temps le Gibus, parce qu’à Marius Magnin il fallait faire une programmation plusieurs mois à l’avance. C’était une salle municipale et on faisait ça en coproduction avec une autre asso. Il y avait donc aussi le Gibus parce que, ça a beau être des cons, c’était relativement facile de faire des concerts chez eux… Ils n’avaient tellement rien à l’époque qu’entre rien et 200 personnes, ils étaient d’accord pour 200 personnes. Le truc c’est qu’on essayait de faire gaffe aux prix et eux ils vendaient la bière 20, 30 balles alors on était obligés de se murger dans les bars à côté et on finissait dans de tels états qu’ils nous refusaient parfois l’entrée… C’était à la tête au Gibus, parfois tu ne rentrais pas parce qu’ils en avaient décidé ainsi, tu te prenais un pain dans la gueule et puis bonsoir  !

Vous étiez dans une politique de prix pas chers ?

Christophe : De fait, on ne pouvait pas se permettre de faire cher dans un troquet. Ça a créé des gros débats d’ailleurs, parce que tu veux faire venir des groupes, ils demandent un cachet, comme tu fais ça dans des bars tu ne peux pas les payer cher… c’était insoluble comme situation… Donc, en général, c’était 30 balles l’entrée, c’était honnête.

Vous vouliez construire la scène ? vous aviez conscience qu’elle grandissait ?

Christophe : On ne voulait pas construire la scène du tout, il s’est trouvé que la scène s’est développée à cette époque-là et que nous on était là à cette époque, c’est plutôt le hasard qui a fait que. Mais il y avait les squats qui se développaient, plein de petites assos en banlieue parisienne…Mais dans Paris intra-muros il y avait tellement peu de lieux que ça ne pouvait pas se développer. Il y avait une frustration de la part du public comme de la part des groupes de ne pas pouvoir jouer à Paris.

Quel était le public des Barrocks ?

Christophe : … Rires… C’était varié. Au début des années 80 il y avait des punks, des skins, des psychos, des gens plus branchés garage sixties, il y avait du loulou quoi  ! Et puis parfois ces gens-là ne s’aimaient pas trop, donc c’était chaud, quand tu allais dans les Barrocks, tu te demandais ce qui allait se passer, et il se passait toujours quelque chose  ! Il y avait donc principalement des jeunes qui venaient mais aussi des gens du milieu qui se faisaient chier depuis les années 70 et qui voyaient qu’il se passait quelque chose. Paris c’était tellement grand que tu pouvais rester dans un milieu sans connaître les autres. Je connaissais des gens qui n’écoutaient que du 40’s. Tout le reste était de la merde pour eux. Ils avaient leur coiffeur 40’s, leurs fringues 40’s, leurs groupes. Dans chaque petite niche, il y avait des bandes, c’était la même chose pour les rockabs, les punks, les skins. Nous, on essayait de faire en sorte qu’il n’y ait pas de ghetto et que tout le monde vienne s’éclater sur de la musique et découvrir des choses. Nos programmations étaient toujours éclectiques, on mélangeait toujours les genres.

Ça pouvait créer des étincelles tout ça… Christophe : Oui, c’était dur parfois  ; rock’n’roll, chaud, sale et humide comme diraient certains.

Vous aviez une réflexion politique ?

Christophe : Dans les années 80, avec le gouvernement socialiste, il y avait un monsieur rock au ministère de la culture, [Bruno Lion, NDA], qui lui aussi a développé le rock dans les bars. Il y avait une volonté de la part du gouvernement de développer cette scène. On voyait qu’il y avait du changement mais par contre avec la ville de Paris il n’y avait rien… Donc, les Barrocks, c’était aussi pour faire pression pour qu’il n’y ait pas que des grandes salles type Bercy ou le Zénith (qui se créaient à cette époque pour accueillir les grosses tournées américaines), mais aussi des lieux pour accueillir les petits groupes locaux.

Dans vos concerts, est ce que vous avez pris des dispositions face aux fachos  ?

Christophe : À l’époque, les skins n’étaient pas du tout politisés, donc il n’y avait pas un problème de politique, c’était plutôt un problème de violence. On a fait jouer des groupes de Oi  ! avec les Barrocks, je me souviens de mon premier concert Oi  !, c’était génial, il y avait toute une tribu, tout le monde dansait, il n’y avait pas de problèmes, en plus tous ces groupes étaient intéressants, c’était du rock’n’roll. C’est plus tard qu’on a commencé à voir des petits nazillons et puis ensuite des redskins, il y avait des bastons avec les Red Warriors, les machins, les trucs, des bastons aux puces de Clignancourt, mais bon ils ne venaient pas trop dans les Barrocks. Ça ne se faisait pas dans les concerts, c’était plutôt à l’extérieur, à la rigueur ils s’attendaient sur le trottoir à la sortie du concert.

Vous êtes toujours restés sur Paris ?

Christophe : On a peut-être organisé des concerts en banlieue quand on avait une date pour un groupe qu’on ne pouvait pas faire à Paris. Mais par choix, on ne voulait pas aller en banlieue parce que premièrement à Paris il n’y avait rien, et on estimait qu’il fallait y faire quelque chose, et deuxièmement si tu disais au public que c’était après le périph, il ne venait pas. C’était vraiment un choix de rester dans Paris, une ville de deux millions d’habitants et pas un lieu pour accueillir des concerts de rock, merde  !

Est-ce que vous avez eu des connexions avec d’autres rades, d’autres assos en province avec qui vous avez pu faire des échanges ?

Christophe : Ça s’est fait, il y avait certaines scènes rock dans certaines villes qui pouvaient nous envoyer des contacts, mais ça a toujours été ponctuel. Dans les Barrocks, il y en avait qui faisaient tourner des groupes français ou étrangers, donc les connexions se faisaient quand même.

Au début les Barrocks c’était Rascal et Ronan, mais après il doit y avoir plus de monde, ne serait-ce que pour tenir la cadence ?

Christophe : Des fois on était trente aux réunions, c’était un bordel monumental  ! C’était ingérable… Rires… Les autres c’étaient des musiciens, des techniciens qui voyaient qu’il se passait quelque chose, des amis, des gens du public qui venaient nous filer des coups de main, moi je veux bien tenir la caisse, moi je veux bien faire l’affichage, moi je connais des groupes… On faisait des écoutes de cassettes, de démos, on essayait de fonctionner de façon démocratique, à savoir une personne un vote, certains ont essayé de cadrer ça en faisant des comptes rendus de réunion, de les envoyer par courrier avant le prochain concert pour savoir ce qu’il y avait à faire mais ça n’a pas tenu longtemps, ce n’était pas possible  ! Au départ il n’y avait pas grand monde, il y avait le noyau dur, c’était une asso donc il y avait un bureau. On se réunissait dans les troquets ou chez les potes, on n’avait pas de locaux et il n’y en aura jamais … Rires…

Quel bilan tu tires de tout ça ?

Christophe:Beaucoup d’énergie dépensée et beaucoup de plaisir, je ne regrette rien, c’était génial, on s’est vraiment éclatés.