Kochise, c’est un peu une histoire de famille ?

Alex : On a commencé à jouer, on avait entre 15 et 17 ans, en 87, portés par la vague Béru. On était trois frères et sœurs et on faisait quasiment tout en commun. Comme des milliers d’autres, on était un groupe de copains de lycée, et on a tous appris à jouer ensemble. Géraldine : C’était à la suite des grèves lycéennes de 86. Le groupe s’est imposé de fait. On était la petite bande de punks du coin, et comme mes frères avaient déjà une guitare, j’ai décidé de me mettre à la basse. On a commencé à répéter dans un local loué par une paysanne, à côté des vaches au bord de la nationale… six mois après, on faisait notre premier concert, organisé par nous-mêmes. On faisait partie d’un groupe “STOP racisme”. On voulait faire jouer les Bérus, mais c’est tombé juste pendant leur grève et à la place sont venus les Washington Dead Cats et les Nuclear Device. Il y avait aussi 13ème Section et un groupe du coin, Carbone 14. On avait six morceaux et on ne savait pas jouer…

Le groupe s’appelait alors : “Cosette et les Bûcherons Voyeurs” ?

Géraldine : Oui, c’était assez caustique, un truc de jeunes keupons, un groupe de lycéens. Ce qui est marrant, c’est qu’on n’avait aucune appréhension pour monter sur scène sans savoir jouer. Un truc que maintenant on ferait avec beaucoup plus d’attention…

Alex : Le pire, ce qui a tout déclenché, c’est qu’à la fin du concert il y a un jeune de notre âge qui est venu nous voir pour nous faire jouer à son concert dans les mois qui suivaient. C’est ce qui a fait qu’on a continué. Au départ, ce n’était pas programmé comme ça. On jouait parce qu’on organisait, c’est notre scène donc on joue… Et là, le mec voulait nous faire jouer, il demandait combien on voulait… Rires… À l’époque, il y avait deux chants, une guitare, on se cherchait, on ne jouait qu’avec des copains.

Géraldine : C’était du punk rock de base, festif dans le sens sincère, on aimait vraiment le fait d’être sur scène et on voulait le communiquer…

Alex : Nos premiers concerts, pour nous c’était la grande classe… On savait qu’on jouait mal, qu’on ne démarrait pas ensemble…

Géraldine : On n’en avait rien à foutre !

Alex : Et le public non plus…

Géraldine : Ce qu’on voulait c’était jouer, se faire plaisir. C’était une émulation locale mais aussi nationale, on était portés par quelque chose qui se passait. On faisait tout ensemble : des concerts, un fanzine qui a dû sortir à vingt exemplaires pour le numéro 0 et qui s’appelait “La revanche des hérissons”, des tracts anti-profs, les manifs, etc.

Alex : On tapait les textes à la machine, on les découpait, on les collait. On faisait nos tee-shirts…

Géraldine : Ce côté DIY est venu naturellement. À l’époque dans la campagne il n’y avait rien. Donc si on voulait un groupe on le faisait. Si on voulait un fanzine on le faisait. Un concert, un tract, une manif on le faisait.

Alex : La surprise vient comme pour la musique… Au bout d’un moment tu vois que tu es lu, qu’on t’écrit, qu’on te propose des trucs…

Géraldine : En 88 on a rencontré les gens d’On a faim ! sur Bordeaux. Là se sont créés de vrais liens. On était plus sur Bordeaux que sur Toulouse. À cette époque, c’était un peu la fin de quelque chose à Toulouse. C’est là que l’on a eu envie de passer à du plus sérieux, plus militant, quelque chose sur la durée. On a changé de nom, c’est devenu Kochise.

Alex : On a écrémé notre set en ne gardant que les morceaux les plus sérieux. À cette époque on était vraiment branchés sur le groupe “The Brigades”. On trouvait ça vachement plus abouti que les autres choses qu’on écoutait, on était en phase avec ce que disait Vlad entre les morceaux…

Géraldine : J’étais fascinée par le jeu du bassiste…

Alex : On adorait les Brigades… On a ensuite organisé des concerts de soutien, le premier avec les Brigades et Haine Brigade, dans une salle des fêtes… On a toujours connu les deux côtés du décor. Le côté groupe, et aussi la difficulté de l’organisation… C’est peut-être ce qui explique notre longévité.

Vous devenez donc Kochise ?

Alex : Oui, en 88, on devient Kochise… Le line up change un peu. Les trois frangins/frangines, Fred au saxo, et un nouveau batteur, Hugues, qui était un pote qui nous suivait depuis longtemps.

Géraldine : Il nous suivait partout, et comme à un moment on s’est retrouvé sans batteur, on lui a dit : “achète une batterie et apprends à jouer !”

Alex : Il a acheté une batterie, c’était la fin du printemps, et il a joué tout l’été chez lui. En septembre, il était capable de jouer avec nous… C’était la grande classe !

Géraldine : C’est avec lui qu’on va enregistrer notre premier 45 tours, en 89. Comment s’est passé l’enregistrement de ce disque ?

Alex : Les gens d’On a faim ! nous ont proposé de figurer sur la compile « Cette machine sert à tuer tous les fascistes ». Ça a été l’occasion pour nous de partir en studio. On n’avait pas de quoi enregistrer un album, alors on a fait trois titres, les deux qui figurent sur le 45 tours et le morceau pour la compilation. Du coup on a fait une coproduction. L’enregistrement était un peu particulier. On a fait ça à Toulouse, c’était un plan pas cher sur une grande scène, dans une espèce d’auditorium vide… Rires… Le son est ce qu’il est…

Géraldine : Entre-temps, Tapage nous a contactés pour faire la pochette. On l’avait déjà rencontré, il était venu avec Haine Brigade au concert de soutien, il faisait une fresque pendant qu’eux jouaient.Il avait bien aimé ce qu’on faisait, il était aussi dans le réseau On a faim !.

Alex : Pour nous, à l’époque, c’était presque une promotion qu’un mec comme ça, qui dessinait Peutit Keupon, qui était dans tous les fanzines, dans Reflex, qui venait de Paris, s’intéresse à nous. Maintenant c’est quelqu’un de très proche.

Géraldine : Mais c’est vrai qu’à l’époque, le simple fait d’enregistrer un disque, pour nous c’était toute une aventure. On n’avait aucune idée de la façon dont cela se passait, comment ça allait être distribué…

Alex : À l’époque On a faim ! avait le vent en, poupe, et je pense que le disque a bien marché. À partir de la nouvelle formation, on a vraiment appris à jouer… On s’est structuré. Au début, tout le monde chantait, mais j’ai arrêté parce qu’Olivier chantait mieux que moi. Vu que j’étais meilleur guitariste, lui a lâché la gratte. Ça a été la formation… durable.

Géraldine : On a eu des périodes où la formation a changé, on s’est retrouvé sans batteur, mais l’idée c’était de ne jamais arrêter, toujours faire de la scène.

Alex : On était trois frères et sœurs, et quelque part on était un groupe à nous tout seul. Pour tous les gens qui ont joué avec nous ce n’était pas forcément évident.

Vous tournez à cette période ?

Géraldine : Un peu sur Bordeaux et Toulouse… Après le 45 tours on a intégré d’autres réseaux, on a beaucoup joué pour Reflex, à l’étranger, en Allemagne, en Italie aussi. En France en même temps, c’était la fin de beaucoup de collectifs et de pleins de petites associations, comme à Fumel ou Cahors.

Alex : C’était aussi la fin de pleins de groupes, de fanzines, la fin de Bondage…

Géraldine : Il y avait de plus en plus une différence entre la scène parisienne et celle de province. Nous, on était très actifs chez nous, mais on était quand même perçus comme des ploucs… Ce que je retiens de tout ça, c’est que tout ce qu’on a fait, c’était nous-même. On le balançait comme ça, et on se rend compte que tout ce qu’on faisait, les concerts, les collages, les conférences, les manifs, on l’a fait tout seul, sans attendre quoi que ce soit de personne, ça faisait juste partie d’un tout… Mais, je ne pense pas que tout s’est terminé après 89. C’est devenu autre chose. C’est quand même évident que Bérurier Noir et les manifestations de 1986 avaient énormément porté le mouvement. C’était vraiment quelque chose de très généreux… À la suite de ça, certains ont arrêté, mais aujourd’hui encore, on continue, toujours au sein d’une scène musicale militante avec le groupe Cartouche et le fanzine Barricata pour certains, et toujours investis dans les luttes libertaires radicales.