La Souris Déglinguée commence en 1979  ?

Tai-Luc  : On a l’habitude de faire remonter l’histoire de “La Souris Déglinguée” à 1979, moi je vais repartir en 1973. Je suis dans le deuxième lycée de France, le lycée Hoche à Versailles, j’habite avec ma mère à Velizy-Villacoublay. Au lycée, je rencontre Jean-Pierre, le guitariste, on est assez proche d’un jeune homme qui n’a pas eu la chance de continuer sa scolarité, Hervé. Il y a aussi un jeune homme qui jouera de l’harmonica avec nous, Terkadec, il a une collection de disques gigantesque. J’achète ma première guitare en 1976, on a tous envie de faire du bruit ensemble. En 1977, je suis avec Jean-Pierre à Londres, on va voir un groupe de punk qui n’a pas sorti de disques, the Jam, avec 999 en première partie, au Nashville Rooms. Comme contact avec le punk anglais ce n’est pas trop dégueulasse  !! Mais en même temps, si on est impressionné par la performance, on ne l’est pas trop par la technique. On se dit, tiens ça ne paraît pas très dur à reproduire, notre niveau n’est pas très loin du leur, et vice-versa. C’était vachement encourageant. En 1978, je suis invité en Californie par des membres de ma famille vietnamienne fraîchement arrivés. Là-bas, j’ai vu des groupes punks extraordinaires. Dead Kennedys ne sont pas encore au rendez-vous, mais je vois the Avengers…

Tu as déjà une prédisposition pour le genre ?

Tai-Luc  : Non, en fait ça se fait un peu par hasard… Il n’y a pas de quoi fantasmer. À l’époque la scène américaine se résume bien à “LA scène”, ce qu’il y a sur les tréteaux  ! Il y a effectivement quatre punks qui s’agitent sur scène, mais dans la salle il y a des tables… Et là, des gens assis, qui regardent le chanteur en mangeant du pop corn. C’est ça, la scène punk américaine en 1977. 1978, je reviens sur Paris, on fait un concert dans petite salle de Versailles, rue des missionnaires. Entre-temps, Rikko est arrivé en juin. Jusqu’à présent on n’avait jamais rencontré de bassistes, c’était une denrée rare. On continue à répéter avec un jeune homme, Michel, mais on va rapidement être en désaccord musicalement. Il adore “Hôtel California” des Eagles, et il est, à notre goût, trop fan d’AC/DC… C’est vrai qu’en réécoutant aujourd’hui on se dit  : “ce n’est pas si mal que ça”, mais on est en 1977 et pour nous, il y a des trucs plus urgents à écouter qu’AC/DC… On décide d’un remaniement à l’intérieur du groupe et on participe à un tremplin au Golf Drouot, pour dire au revoir à tout le monde. Donc, exit le camarade Michel Romagnoli. En 1979, on rencontre Jean-Claude, après avoir fait passer des auditions pour trouver un nouveau batteur. Après conseil de guerre, Jean-Pierre nous dit  : “c’est lui qu’il faut prendre. -Pourquoi, tu as bien aimé son style de batterie ?
 Non ce n’est pas ça   : il a une voiture  ! Il pourra se coltiner sa batterie  !!” On a donc là le line-up définitif de la Souris  ! Tai-Luc  : Oui, et à partir de là on se tape tous les tremplins merdiques de la région…

À cette époque, vous n’avez pas encore sorti de disques, vous jouez déjà les morceaux du premier album ?

Tai-Luc  : Oui, une partie, et aussi des reprises, d’Eddie Cochran… Hervé a sorti notre premier 45 tours, qui n’était en fait que des maquettes, vers la fin de l’année. On continue à répéter, perturbés par le service militaire de Jean-Pierre. Puis, le 7 janvier 1981, c’est le fameux concert à l’Opéra Night. C’était une nouvelle salle de concert qui faisait cinéma, rue Gramont près du Golf Drouot. Pour aller démarcher le concert, j’étais avec un copain habillé à la Madness, en chapeau, costard. Le programmateur a cru qu’on était un groupe de ska. Je le lui ai laissé croire. Il nous a dit qu’on ne gagnerait rien sur ce concert, que c’était pour notre promo, qu’on devait amener la sono… Partant de là, j’avais insisté pour qu’un certain nombre de gens puisse rentrer gratuitement. J’avais donc reçu des invitations, que j’ai données, mais entre-temps, les mecs se les étaient photocopiées… La salle était donc pleine à craquer, environ 500 personnes, ce qui pour l’époque était énorme pour un groupe qui ne représentait rien  ! Le mec de la salle voyait ça d’un super bon œil, en bon capitaliste de comptoir  ! Je ne dirais pas que ça s’est mal passé, mais le concert a été annoncé trop tôt. Avant le concert, il y avait une séance de film. Donc les mecs ont commencé à boire dans les bars d’à côté, et quand ils sont rentrés dans la salle, ils étaient vraiment très chauds… Et même s’ils consommaient beaucoup, ils ne payaient pas… La tension est montée pendant le concert, et le mec de la salle a coupé le son. Là, ça a été la fin de tout… On a remballé assez rapidement, les flics sont venus, Jean-Pierre a été arrêté, avec d’autres gens qui avaient fait de la casse… Certains parlent de passer de la révolution à la révolte, ce soir-là on est passé de la révolte à la délinquance…

Quel était votre public à l’époque ?

Tai-Luc  : Tous les mecs qui traînent à la fontaine des Innocents… Tout est confondu. C’est un mélange, de gens qui ont entre 15 et 25 ans, des gens qui sont déjà revenus de tout… Des gauchistes qui se foutent de la gueule de l’extrême gauche… Des merles moqueurs  ! À l’époque, il n’y a pas de ligne de démarcation entre les skins et les punks, je dirais que la drogue et les dealers sont les mêmes pour tout le monde… C’était ça aussi qui faisait l’unité… ! On est en 1981, on a déjà un public assez particulier. Dont certains se retrouveront plus tard dans l’organigramme de “Rock à l’Usine”. Comme quoi, les gens qui savent organiser sont aussi généralement ceux qui maîtrisent le désordre… Gérald Biot  : La rencontre entre différents publics qui venaient voir la Souris, punks, skins, autonomes, provoquait des étincelles… Hors de la salle, et en devant de scène, c’était assez régulier… Certains concerts sont devenus mythiques comme celui de l’Opéra Night… Certains organisateurs n’étaient pas très psychologues au niveau de la gestion de la soirée, mais c’est vrai qu’une partie du public était assez incontrôlable… Vous allez bientôt sortir votre premier disque ? Tai-Luc  : Fin 81, le service militaire m’attend dans l’est de la France, mais malgré tout, un bon point pour nous, notre premier disque sort. Ce premier disque est un peu le reflet de tout ça, de ces années où l’on a accumulé des expériences sur scène et en dehors. Ça ressemble à du vécu…

C’est peut-être pour ça qu’il a tant marqué les gens ?

Tai-Luc  : Sur le coup, on ne peut pas s’en rendre compte, moi je pensais que c’était déjà le disque de la fin… Je partais à l’armée, et en plus, c’est l’époque où personne ne payait sa place pour rentrer dans les concerts. On a fait du tort à l’économie du spectacle à cette époque-là… On était dans une logique de gratuité permanente, donc je n’arrivais pas à voir comment notre public, qui n’avait pas de sous, allait pouvoir acheter un disque… Pourtant, on n’était pas peu fier, parce que Hervé me dit qu’on en avait écoulé 50 sur Toulouse, dans les premières semaines de sortie. Pour nous c’était énorme. À l’époque, il n’y avait pas grand-chose, c’était le vide culturel…

À l’armée tu rencontres d’autres acteurs de la scène punk  ?

Tai-Luc  : En 1981, j’ai d’illustres contemporains à l’armée, Riffart, le guitariste de Reich Orgasm, le chanteur dont j’ai oublié le nom et qui à l’époque était le Wagmestre… Grâce à lui, j’ai eu droit à de nombreux voyages gratuits… Merci à lui pour ses faveurs en tickets ferroviaires… Il y avait aussi Géant Vert, qui n’est pas resté très longtemps… Il n’est pas resté très longtemps car il ne voulait pas être militaire pendant 12 mois, il refusait… Pas de porter les rangers, mais de porter le reste… Il a traîné dans la caserne pendant quelques semaines, il avait encore sa coupe d’iroquois, et la tenue de rigueur… Et ces mecs me disent  : “on a un projet, on veut faire une compilation”. Je leur ai répondu  : “bon courage”, parce que je voyais comment ça se passait à Paris… Entre les concerts que personne ne paye, les disques que personne n’achète, ou que tout le monde vole… Comment veux-tu prospérer dans un univers qui n’est pas paisible ? Même en parlant en termes de marché, pour moi ça ne représentait rien  ! Mais c’est vrai que c’étaient des mecs motivés, et qu’ils ont contribué à humaniser et fédérer la scène… Les premiers à avoir voulu mettre en commun la chose.

Le groupe est en suspend pendant cette période ?

Tai-Luc  : Oui, en 1982 je suis au service militaire, les autres font des concerts sans moi, à trois. Je jouais quand j’étais en permission. Notamment un concert à Toulouse avec Camera Silens, Classé X, Wild Child… Qui sera filmé…

À cette époque, sur une compilation vous sortez le titre “As-tu déjà oublié” ?

Tai-Luc  : En 1983, on continue à répéter au studio de la Gare. Patrick Woindrich [ingénieur du son du studio, qui a enregistré de nombreux groupes de la scène, NDA] nous propose d’apparaître sur une compilation, “W.W. quai de la gare”, avec tous les groupes qui répétaient là. Donc c’est le morceau qui fait   : “on est tous des étrangers, l’as-tu déjà oublié…”, qui n’est pas une nouveauté, puisqu’on le joue depuis 1979, et le texte date de 1977.

Vous ne l’avez jamais mis sur un album ?

Tai-Luc  : Non, il était à la bonne place là où il était. Mais c’est vrai que c’est un morceau qui représente… Un morceau important…

Je le trouve très emblématique de La Souris…

Tai-Luc  : C’est vrai, en fait il aurait du sortir en 1981. On avait joué à Toulouse pour une association anarchiste, et un très célèbre prof de philosophie de la faculté de Toulouse “Le Mirail”, qui va fonder sa maison d’édition, “Trans Europ Repress”, nous avait financé l’enregistrement d’un 33 tours, où devait figurer ce titre. Manque de pot, on n’a jamais eu l’argent pour mixer les morceaux, donc les bandes sont restées dans les cartons. Ce prof avait fait, à l’époque, deux bonnes actions, il avait financé notre enregistrement, et il s’était occupé d’un repris de justice, qui avait passé ses diplômes de philosophie en prison, et qui est maintenant très célèbre aussi.

Vous enregistrez l’album “Aujourd’hui et demain”.

Tai-Luc  : En mars 1983, on décide de l’enregistrement d’un nouvel album. À cette époque, on ne voit pas l’intérêt de se faire produire par quelqu’un, de recevoir des conseils… On part donc sur une co-production avec le studio Garage. On va squatter les lieux pendant trois mois. On nous a laissé beaucoup de libertés, du coup “Aujourd’hui et demain” est peut-être un peu excessif au niveau du son. En 1984 on sort un mini album, “La cité des anges”. C’est le dernier disque où l’on joue encore des anciens morceaux. Par exemple “Nostalgique”, je l’ai écrite à Pékin en 1981. Cette chanson a donc trois ans. J’ai fait une chanson de nostalgique à l’avance… En 1981, je voyais déjà ça au passé, je savais que ça allait s’arrêter. En 1982, je pensais que le public qu’on touchait était vraiment très restreint. Je m’étais trompé, et je m’aperçois que cette communauté d’agités et de jeunes gens énervés ne se situe pas qu’à Paris, qu’il y en a un peu partout en France.

C’est le début de l’Internationale Raya Fan Club ?

Tai-Luc  : Oui, jusque-là j’étais plus pessimiste… En 1985, Hervé prend du retrait, on connaît des divergences de fond sur les options musicales du groupe. Il nous disait   : “vous devriez vous intéresser aux musiques noires. - Hervé, la musique noire je ne connais que ça. Ma mère est “africaniste”, il y a eu des posters d’Angela Davis et des disques de James Brown depuis que je suis gamin à la maison. C’est ce que j’ai entendu de huit ans à quinze ans, et c’est tout ce que je ne veux pas écouter aujourd’hui  !!” Il travaillait à l’époque pour Celluloïd, label de musiques africaines, c’est eux qui faisaient la promotion des débuts du rap, Afrika Bambaataa… On commence à enregistrer les maquettes du disque “Eddy Jones”. Et là, on rencontre Dominique Bouscaille qui travaille pour Celluloïd, et qui nous dit  : “là, les mecs, il faut faire un disque sérieux. Vous allez enregistrer avec Slim Pezin”. J’avais mal entendu, je croyais qu’il parlait de Memphis Slim, le pianiste de boogie-woogie… Et on a vu arriver un mec au local de répète, très show-bizz, qui nous dit  : “bon je ne reste pas, vous jouez trop fort”… Il nous a fait comprendre qu’on n’était pas prêts pour rentrer en studio. Donc on a répété tous les jours pendant une dizaine de jours, et en arrivant au studio, il nous a avoué avoir été effrayé par nos répétitions, qu’on n’était pas assez sérieux. Mais finalement ça s’est bien passé…

À cette période, vous avez joué pour “Rock à l’Usine” ?

Tai-Luc  : Avant l’enregistrement, on est invité à jouer à l’Usine, un squat à Montreuil, concert qui n’aura pas lieu. C’était une ancienne usine désaffectée qui avait été plus ou moins transformée en salle de concert. La plupart des groupes de l’époque avaient joué là-bas, c’était un bon tremplin. Sauf pour nous, puisque le jour où l’on devait jouer, le squat s’est fait déloger et murer. À la suite de quoi, le local de l’usine n’existant plus, Gérald va fonder une association “Rock à l’Usine”, qui va être à l’origine de grands concerts parisiens et provinciaux, avec un peu tous les groupes de l’époque.

Gérald Biot  : J’ai commencé très tôt par être dans le public très dynamique de la Souris. Je m’occupais d’une salle de concert, le Théâtre Sorano à Vincennes, et, étant fan de la Souris, un des premiers concerts que j’avais programmé là-bas, c’était la Souris Déglinguée. Par la suite, La Souris Déglinguée a toujours été présente aux côtés de Rock à l’Usine, et comme le dit souvent Tai-Luc  : “Rock à l’Usine à soutenu LSD, La Souris soutient Rock à l’Usine”. Fin 1987, l’aventure de Rock à l’Usine se terminant, Tai-Luc m’a proposé de travailler avec eux sur le management. Et ça a duré jusqu’en 1992.

Tai-Luc  : En 1987, on va jouer au Zénith, pour 20 ou 30 francs l’entrée. C’était un concert organisé par Pierre Marty et son épouse Nguyen Duy de l’association Bigoudi Impérial, le prix d’entrée très bas avait attiré un maximum de population juvénile. Et on va partir en tournée en France. En 1988, c’est la tournée “Rock en France”, on change de crémerie, on quitte Blue Silver pour aller chez Musidisc, et on sort “Quartier libre”. Ce qui est marrant c’est que cet album ne ressemble pas à ce qu’on voulait faire. Normalement il aurait dû sonner comme “Banzaï”, être plus feutré. Seulement celui qui produit l’album c’est Hervé Deplasse, un ancien journaliste de Rock’n’Folk, reconverti dans la production artistique. Il a pas mal œuvré pour Kas Product et Gogol… Et il nous met dans les pattes un mec, très sympa d’ailleurs, qui a joué avec Balavoine et Little Bob, un guitariste assez doué, Yves Choir. On sent qu’il a longtemps joué avec Renaud où Balavoine, et qu’il n’a pas pu beaucoup s’exprimer avec sa guitare… Dès qu’il a eu l’occasion d’enregistrer un groupe de rock, ça a été le moyen de s’encanailler. Et donc, plus tu jouais fort, plus tu gueulais dans le micro, et plus il est content… Rires… Et finalement, l’album n’a pas du tout été feutré… Rires… Ça a donné “Quartier libre”. À cette époque-là, c’est Gérald qui va présider à la destinée de nos concerts.

Gérald Biot  : Aucun groupe n’est facile à manager. C’est vrai que c’est un groupe particulier, facile peut-être pas, agréable certainement. C’est un groupe qui t’apporte beaucoup, des souvenirs extraordinaires, et beaucoup de satisfaction. C’est un groupe qui n’a jamais laissé indifférent. Soit on adorait, soit on détestait. À l’époque j’ai beaucoup fait de direction de camps d’ados et de colonies de vacances, jusqu’à très tard, même pendant que j’étais à Rock à l’Usine, et Tai-Luc me disait  : “tu n’as pas l’impression d’être en colo quand tu es en tournée avec nous ?” Et effectivement, il fallait recadrer  : “allez les gars faut se lever, faut arriver à l’heure pour la balance, ah non, ça il ne faut pas le faire”, on discutait, mais il y a des choses qui sont discutables et d’autres non… C’est vrai que pendant trois semaines, tu étais en camp d’ados, des grands ados, mais tu retrouvais des trucs… À la fois dans le côté positif, mais aussi les angoisses d’en perdre un en fin de soirée, je ne citerai pas de nom mais il y en a qu’on pouvait perdre au bar… Mais c’est un groupe qui était très professionnel. Tai-Luc, qui a un respect énorme pour son public tenait à ce que chaque concert soit le meilleur.

Tai-Luc  : En 1989, on enregistre le live anniversaire des dix ans au Bataclan. C’est un concert organisé par Dominique Revers. Pendant qu’on jouait, il y avait une bande de graphistes (Jay, Ash, Ski et Miles Carter) présentée par un jeune “B-Boy” nommé Shock qui ont fait une toile de scène en direct. En 1990, on joue à l’Olympia.

Avec Suprême N.T.M. ?

Tai-Luc  : Oui, ce qui a surpris beaucoup de monde. Moi, ça ne me surprenais pas  ! Depuis fin 86, j’écoutais beaucoup de rap américain, et je savais qu’il se passait des trucs aux Etats-Unis. J’écoutais aussi des émissions de rap sur Radio Nova, où les mecs venaient chanter en direct. Depuis 1987, j’assistais à beaucoup de concerts de rap américain, Ice-T…. En plus, à l’époque on répétait dans le 18ème, près de la porte de la Chapelle, près des terrains vagues où les mecs faisaient leurs graffitis, rue Philippe de Girard. Et l’on avait sympathisé avec certains d’entre eux, qui descendaient à la cafète du studio. Un jour, on a été invité sur Radio Beur, c’est là qu’on a croisé Magyd, qui s’occupera plus tard d’Assassin, et c’est lui qui a fait le lien avec N.T.M. 

Gérald Biot  : LSD c’est une chronique du quotidien, de ce que vivent les gens, en France, dans les banlieues, mais même au niveau mondial, surtout en Asie. Luc a été un des premiers à réellement s’intéresser aux textes des rappeurs en France. C’est lui qui avait imposé N.T.M. en première partie à l’Olympia. Il avait déjà rencontré Joey Starr. Il a toujours une curiosité musicale extraordinaire. Et qui dit curiosité dit ouverture… Ça ne s’est pas très bien passé pour NTM, il faut être honnête. Le public de la Souris n’était pas prêt à écouter ça. Joey Starr, qui avait déjà son charmant caractère n’était pas du tout content après le concert… Je l’avais dit à Luc, ça va être une rencontre étrange… Il m’avait répondu  : “justement, il faut provoquer un choc…”

Tai-Luc  : On s’est beaucoup fait cracher dessus par la scène alternative, et le fait que François monte Molodoï, et qu’on invite NTM en première partie à l’Olympia, ça a été une manière de redistribuer les cartes…

Vous avez pourtant partagé l’affiche souvent avec cette scène-là. Quels étaient les groupes dont vous vous sentiez proches ?

Tai-Luc  : Je dirais tout le bien que tu veux d’un groupe comme O.T.H., ou Reich Orgasm… Comme par hasard, ce sont des groupes de province… Il y avait Wunderbach, la version Nanterre et Champigny-sur-Marne… Avec eux on a fait un bout de chemin… Je dirais aussi du bien d’Oberkampf, avec qui l’on a encore partagé la scène récemment. Camera Silens, Benoît…. C’est normal, il y avait de l’amitié…

Dans les textes, on retrouve énormément de références à des amis, des moments, des personnes… C’est un peu votre marque de fabrique ?

Tai-Luc  : Tu parles de gens que j’ai sortis de l’anonymat, dans lesquels tu te reconnais parce qu’ils nous ressemblent, et une fois n’est pas coutume, je vais te parler de Patrick Bruel  ! Une de ses chansons parle de nous, mais lui ne le sait pas. Celui qui a écrit le texte, c’est Laurent Chalumeau, journaliste à Rock’n’Folk. À un moment donné, Patrick Bruel a voulu faire un album rock, en 1993. Il lui fallait des textes sur mesure, et Laurent en a écrit deux ou trois. Il y en a un qui s’appelle “Demain le monde”. Chalumeau m’avait appelé pour me dire  : “il y a un morceau qui va vous faire sourire  !”. Effectivement je l’avais écouté, et il parle d’un groupe qui part en tournée, et qui ressemble étrangement au groupe que tu connais… Rires… C’est marrant de voir comment, de manière anonyme, tu peux être chanté par Bruel… De la même façon, j’ai chanté des gens, certains ne sont plus là pour se reconnaître, mais c’est le même procédé. Tu t’empares de tes souvenirs et tu fais un journalisme sonore de la chose.

On va arrêter là la chronologie… Si je te dis  :

Une cause à rallier  : Ce que j’aime bien dans cette chanson, c’est le couplet dans lequel je parle des phares anti-brouillards. Ça me fait penser au Sarcelles des années 70… C’est le couplet le plus important avec celui de la fin, “accroché à la lune…”

Tendance négative  : Ce sont les produits que tu prends pour ne pas dormir, tous les coupe-faims… Je n’ai jamais eu besoin d’en prendre, parce que je sais rester éveillé  !

En France  : C’est toujours drôle de faire une chanson qui s’appelle “En France”, quand tu écris les paroles à Hong-Kong, en 1981. C’est peut-être le seul moment dans ta vie où tu as envie d’être français, quand tu es en Chine… Rires…

Rockers  : Rockers… Tout le monde aime bien ce terme-là, des jamaïcains jusqu’aux Cockney Rejects… Ca frise l’onomatopée… Peut-être qu’au niveau des étiquettes on aurait tous du en rester là.

Étrangers  : La carte de séjour je connais, pour en avoir eu une jusqu’en 1977. Étranger un jour, étranger toujours.

Sur la zone  : Géographiquement, historiquement c’est plutôt dans la banlieue nord. Une demoiselle de Toulouse m’avait demandé  : “mais de quelle banlieue tu parles ?” Je lui avais répondu  : “de la nôtre…” Elle a été déçue  ! Tout ça pour dire que les gens du coin doivent parler de là où ils sont. Nous, on ne sait pas ce qu’il se passe de l’autre côté de la rocade… En même temps, le terme banlieue n’a pas les mêmes connotations partout. En Angleterre, quand Business chante Suburban Rebel, ça ne veut pas dire la même chose. Les banlieusards ne sont pas les mêmes. C’est des cottages, des pavillons, un peu… rupins… Le concept de banlieusard n’existe pas en Angleterre, ni aux États-Unis.

Détachement Féminin rouge  : Aujourd’hui celle qui volait (dans la chanson) des sacs travaille à RFI, donc c’est une bonne chose  !!!

Et il y a une question que tu ne m’as pas posée, c’est  : pourquoi Nation ? Parce que c’est une excellente station de métro  ! …Rires…