Babylon Fighters a été un des premiers groupes de reggae et de dub français  ?

Lô Malfois : Babylon Fighters a été créé vers 84, mais en fait c’est plus vieux que ça. Ça a été monté par un trio mais dès 86 il n’y avait plus un seul membre d’origine. Pourtant la moitié du répertoire était constituée de morceaux qui viennent de cette époque-là. Le chanteur, Bird, a intégré le groupe rapidement mais le bassiste et le clavier originaux sont partis bien avant le premier maxi, même avant la compile “Les héros du peuple sont immortels”. Le batteur Général O avait quitté le groupe juste après le premier maxi. Donc deux ans après la création de Babylon Fighters il n’y avait plus aucun membre fondateur. Tout s’est étoffé très vite, ça a démarré rapidement. C’était déjà du reggae urbain. J’ai intégré le groupe en tant que manager, quasiment dès le départ. Je connaissais très bien les musiciens (Deuf, Kobé, Jean-Pierre, Byl, Général O et Bird), il y avait une grande confiance, c’était autant mon groupe que le leur, on était vraiment un bloc. C’était un des premiers groupes de reggae français et comme il n’y avait quasiment que nous, on a très vite beaucoup tourné. On était complètement intégré à la scène alternative de par mon passé à Kronchtadt, et donc on tournait sur les deux tableaux  : on pouvait très bien être dans une MJC de banlieue parce qu’on faisait du reggae, ou tourner avec les Ludwig le lendemain dans un endroit alternatif… Comme O.T.H., on a vite voulu se professionnaliser et imposer nos systèmes de son (merci à Fa Musique). C’est un truc qui nous a caractérisé, et il a fallu se battre pour ça. On a été connu pour la qualité de notre son de scène. On avait un mec au son, Jean Pierre Spirli, qui était aussi primordial que n’importe quel autre membre du groupe, c’est lui qui a tout enregistré, sauf le dernier album. On avait aussi de vraies prestations scéniques, et on a bénéficié de l’explosion de l’alternatif. En 85, avec la compile “Les héros du peuple sont immortels” on a existé, le maxi 45 tours est sorti juste après et, dès 86, on a vraiment tourné. Ça ne s’est plus arrêté par la suite, avec beaucoup de concerts à l’étranger  : en Allemagne, beaucoup en Suisse, en Hollande, à Montréal…

Vous chantiez en anglais ?

Lô Malfois : Plutôt en yaourt anglais, créole, français, des textes revendicatifs et radicaux. On s’est intégré à la scène radicale avec des textes comme “National Trouble” [morceau contre le Front National, NDA], qui était sur la compile “Les héros du peuple…”. Ça veut dire ce que ça veut dire.

Musicalement Babylon était assez innovant, ne serait-ce que par le chant créole ?

En plus Bird chante bien, il a une belle voix, une bonne présence, il est charmant. Après il a dérapé, mais au début, il restait à sa place, humble. Il avait un beau timbre de voix. Mais c’est surtout musicalement à l’époque qu’on a innové, en faisant du reggae urbain, et pas du reggae train-train. Le côté innovant vient de là, ce n’est pas du reggae traditionnel. À l’époque, il n’y avait pas grand monde qui connaissait On U Sound, et nous, on était imprégnés de ça. C’est un peu moi qui ai apporté cette touche à Babylon et Kobé a très vite adhéré à ça.

Quel type de public aviez-vous ?

Lô Malfois : Le public alternatif, le public de banlieue… Comme on était pratiquement le seul groupe qui faisait du reggae, on jouait souvent dans les quartiers. On a eu la chance d’avoir un public assez large. On avait le public alternatif et le public reggae même si notre spécificité musicale ne plaisait pas forcément aux puristes. Un jour, on a même fait la première partie de Burning Spear au Zénith à Paris. Ça n’a pas été une partie de plaisir… Babylon ce n’était pas du reggae roots, c’était urbain avec du dub à la On U sound, des reverbs partout… On a eu plus de succès que ce à quoi l’on pouvait s’attendre, on était plutôt contents, mais néanmoins une partie du public ne comprenait pas ce qu’on faisait  : “mais ce n’est pas du reggae ça ???”.

Une des caractéristiques du rock alternatif, c’était aussi le mélange les genres ?

Lô Malfois : Le rock alternatif c’était un peu monolithique artistiquement c’était quand même bien rock, punk rock. Donc on a quand même bénéficié du fait que l’on était peu nombreux à faire ce style. On était franchement reggae, très urbain, on avait la culture du dub. Quand je vois aujourd’hui l’explosion du dub français, je dis  : merci Babylon, alors qu’il n’y a pas un seul groupe qui s’en réfère, à part Brain Damage. C’est pourtant Babylon qui a vraiment préparé le terrain à cette musique.

Le premier maxi sort en 86 et le premier album en 88 ?

Lô Malfois : Oui, le premier album sort dans la douleur… On devait d’abord faire un live. On a emmené un multipistes sur toute notre tournée d’été, pour enregistrer les concerts, et quand on a écouté les bandes, il n’y avait plus rien, elles étaient démagnétisées, irrécupérables. On s’est donc pris trois jours de studio (chez Manoukian et Liane Foly), et, en trois jours on devait tout enregistrer. C’était du vrai live  ! On devait tous jouer ensemble, s’il y avait un pain, on devait tous recommencer. Donc, en trois jours il a fallu enregistrer et mixer. Monsieur Spirli a fait des miracles. Du coup il y a une urgence, une spontanéité dans ce truc qui est bien. Le deuxième album aussi était bien, celui-là on l’a fait à Montpellier, au Studio Village (le père d’Emilie Simon). On a toujours été très proches des O.T.H., en fait c’était comme des grands frères, d’ailleurs on a arrêté quasiment en même temps, fin 1991.

Pourtant, musicalement il n’y a aucun rapport ?

Lô Malfois : Oui, mais c’étaient des vrais potes, je faisais un peu le lien, et puis il y avait “Blank SS”,un groupe punk radical de Saint-Étienne. C’est le batteur qui a fondé Babylon par la suite… Et le chanteur de ce groupe punk, Laurent, est maintenant le réalisateur qui fait le foot sur TF1, comme quoi ça mène à tout  !

Quand vous signez chez Bondage c’est déjà un peu la fin pour eux ?

Lô Malfois : Non, mais ça va se précipiter ensuite. On signe en même temps que les Satellites pour leur deuxième album. Nos deux albums sortent pratiquement en même temps, c’est plutôt la grande époque de Bondage… Il y avait encore Jean-Yves, je pense qu’il nous a signé à contrecoeur, mais tout le reste de Bondage était pour. C’était un grand investissement, qui était en fait une misère, mais c’était cher pour Bondage à l’époque, il me semble que ça a coûté à peu près cinq briques (50.000 F).

C’était un choix politique de signer chez eux ?

Lô Malfois : Oui. À l’époque Musidisc voulait nous signer et nous faire enregistrer en Jamaïque, avec un producteur jamaïquain. On en a discuté avec les musiciens, et on est revenu avec des exigences…. Musidisc était pratiquement une major à cette époque. Ils nous ont expliqué que c’était comme ça, et pas autrement. Donc fuck off. J’étais très proche de Bondage, et j’avais plus envie d’aller chez eux que chez Musidisc. Ce qu’on a fait. On a enregistré au studio Village avec Spirli, et l’on a fait un putain de bon album. Ça change beaucoup de choses… Enregistrer en Jamaïque avec des jamaïcains, qu’est ce que ça aurait donné… ?? On n’en a jamais reparlé avec les musiciens, mais je crois que cela aurait précipité l’explosion. Parce que Kobé, qui était quand même un pilier de Babylon, très créatif, un artiste barjo, avec des musiciens jamaïquains, qu’est ce que ça aurait donné ?  !!

Quand vous rentrez chez Bondage c’est encore en accord avec votre radicalité ?

Lô Malfois : Tout à fait, on reste indépendants. Bondage c’était encore un label où l’on était artistiquement libres, on avait carte blanche pour tout…

Il y a vraiment eu deux périodes dans l’histoire de Babylon Fighters ?

Lô Malfois : Oui, il y a vraiment deux périodes. En 1988, je commençais à faire mes premières vraies régies professionnelles pour d’autres groupes. J’étais ponctuellement embauché par une boîte –Programme, merci à Bernard Batzen– c’était ma vraie entrée dans la professionnalisation. Une fois je me suis retrouvé régisseur au New Morning, et là je me suis aperçu que si je voulais vraiment avancer au niveau administratif, il allait falloir que je me frotte au show-biz, mais ça ne me branchait pas trop, et donc j’ai décidé de redevenir musicien… J’ai repris à 30 ans la trompette dont je jouais quand j’étais petit, en me disant que la meilleure position était celle du musicien, la meilleure, mais aussi la plus difficile. Du coup, je suis rentré comme trompettiste dans Babylon. C’était le premier changement, je me retrouvais en même temps manager et trompettiste. Là on a eu la chance de se faire signer par Bondage, et on a enregistré le deuxième album. On s’est fait prendre en charge par la boîte de tourneur pour qui je bossais de temps en temps, c’était l’agence en vogue du moment. Ça correspondait au premier passage avant la signature en major. Et puis, à un moment il y a eu une grosse cassure dans le groupe, Kobé, (notre clavier), part, suivi de Spirli, notre ingénieur du son. Là, a commencé une deuxième période de Babylon… Avec un changement d’équilibre, un changement de musique et un changement global de stratégie. Ça, c’est la deuxième période, vachement moins rigolote, qui passe par les signatures major BMG et Warner Chapell en éditions. Ce n’était pas forcément inintéressant, on a fait le Midem, plusieurs festivals internationaux, à New-York, en Islande, un festival en Allemagne avec Nirvana, Sonic Youth… L’année de la signature il y a eu des choses super positives. On a enregistré à ICP célèbre Studio belge avec JM A (Arno, etc….). Mais l’ambiance dans le groupe c’était l’enfer… Mais là, on est en 1990, on sort de ta chronologie… Ça tombe bien, parce que pour nous, 89, c’est la super année  !! On enregistre le deuxième album, on fait une super tournée, il y a encore Kobé, des cuivres, dont moi, tout le monde commence à être très présent, le bassiste amène une rythmique d’enfer. L’année 89-90, c’est le top. À partir du moment où Kobé se barre, ça ne va plus du tout et ça part en couille doucement.

C’est lui qui écrivait les morceaux ?

Lô Malfois : C’était un peu le chef d’orchestre, le seul vrai musicien. Il savait ce que c’était que le professionnalisme, il essayait toujours de nous tirer vers le haut. Et moi, je faisais le tampon entre le fait de rester alternatif et politique, et le fait d’avancer professionnellement quand même. Jusque-là on n’avait pas été mal, et l’on faisait surtout de bons concerts.

Qu’est ce qu’impliquait le management de Babylon Fighters ?

C’était ma première expérience dans le management. Mais il n’y avait pas de spécificité “Babylonienne”. Le management, c’est avant tout gérer les égos, faire du business même quand tu es “alternatif”. Quand je suis parti de Babylon, et que je suis rentré dans les Naufragés, j’ai eu la sensation de prendre un bol d’air phénoménal, et je me suis très vite retrouvé manager. Là ça ne fonctionnait pas de la même manière, tout était plus ou moins collectif, même si Spi avait une place prépondérante. Chez Babylon c’était quand même collectif parce qu’il y avait plusieurs fortes personnalités, mais quand Kobé est parti tout est devenu bancal et un peu plus compliqué. Il y a même eu un moment où j’ai laissé tomber le management et la régie, je venais juste faire “pouet pouet” avec ma trompette en attendant de me faire virer… Le groupe n’a pas résisté aux départs de Kobé et au mien je pense. Ça a splitté même pas trois mois après mon départ, et pendant les deux ans sans Kobé et Spirli ça n’a été que des bidouilles marketing pour exister, on perdait de plus en plus de public et l’album chez BMG a vendu dix fois moins que celui de Bondage.

La conclusion : mieux vaut des fois ne pas avoir trop de succès, pas de signature major, et rester humble…