Vous avez beaucoup chanté la banlieue, d’où venez-vous ?
Patrice : Les Rats se sont formés courant 1982 à Montereau dans une cour de lycée avec Serge à la guitare, Patrice à la guitare et au chant, Laurent à la basse et Jean-Mi à la batterie.
Pourquoi ce nom ?
Patrice : À cause d’un dessin que je faisais sur les murs du lycée. On voulait un nom court, facile à retenir et subversif celui-ci dans sa graphie rappelait le groupe anglais “the Ruts”. Par la suite, il s’est avéré que ce nom nous correspondait vraiment, car nous avions un appétit de rat et nous parasitions les scènes où nous n’étions pas programmés.
Comment décrire la scène en banlieue à cette époque ?
Patrice : En banlieue en 1982, c’était le désert ! Les scènes dites alternatives (qui en fait étaient bien souvent des M.J.C. désertées par les babas-cool et reprises en main par les enfants de 77) se sont multipliées vers 1985, notamment grâce aux radios libres et aux nombreux fanzines punks qui ont fait beaucoup pour la propagation du virus. Les fanzines ont été des organes essentiels à l’essor du mouvement alternatif, et parfois bien plus. C’est aussi vers cette époque que des groupes comme les Bérus, LSD et Panik ont commencé à avoir une bonne notoriété et à rameuter plusieurs centaines de personnes à leurs concerts. Ils ont été des locomotives pour d’autres groupes émergents.
Quel type de musique jouiez-vous au départ ?
Patrice : Du punk-rock bien rock ou du rock-punk bien punk et nous n’avions pas d’autre but que de nous éclater le week-end et le mercredi après-midi. Par la suite, quand les Rats se sont fait connaître, nous avons profité des sonos qui étaient mises à notre disposition pour gueuler bien fort nos convictions, nos espoirs, nos doutes et notre haine (très peu d’amour…).
Quels étaient vos groupes références ?
Patrice : En ce qui nous concerne, presque tous les groupes punks anglais 77 (Sex Pistols, Ruts, Damned, Buzzcocks, Clash, etc.) et américains (Ramones, Dead Kennedys, Heartbreakers) mais aussi des trucs plus vieux comme les Rolling Stones, les Stooges, AC/DC, Dictators et bien-sûr les groupes de rock français comme Téléphone, Starshooter puis par la suite Parabellum, O.T.H., les Bérus, Hot Pants et La Souris Déglinguée.
Dès le départ, vous chantez en français ?
Patrice : Oui, parce que nous avions des choses à dire et que nous voulions être compris du public. De plus le rock en France commençait à se décomplexer et c’était une façon de s’affirmer par rapport aux anglo-saxons.
Comment s’est passée la rencontre avec Gougnaf Mouvement ?
Patrice : Un soir, à Emmerainville, courant 85, après qu’on ait squatté le concert d’un groupe skin (l’Infanterie Sauvage) et bousillé leur matos… Ça a plu aux gars de Gougnaf (plus que notre musique à l’époque, je gage…). Ils vont rapidement, dès 1985 vous faire enregistrer votre premier 45 tours ? Patrice : Oui, notre premier single “Violence”, avec une pochette de Mattt Konture. Le son était ultra-pourri, car on l’avait enregistré dans une cave avec un magnéto 16 pistes- 1/4 de pouce. Il a toutes les erreurs d’un premier enregistrement, mais la composition était d’enfer, et ce disque a une espèce de fraîcheur juvénile…
En étiez-vous contents ?
Patrice : A l’époque OUI, car c’était notre première vraie galette (nous étions déjà apparus sur la compilation “Rock in Paris 84”), et bien que le son fut pourri, l’accueil du public et des fanzines a été bon. La superbe pochette de Mattt et le fait que c’était une production “Gougnaf” y ont contribué, je pense.
Vous allez vous retrouver sur la compilation “Les héros du peuple sont immortels”, avec le titre “Bébé je t’adore” ?
Patrice : Je pense que c’est avec cette compilation que les choses ont vraiment démarrées pour nous. Le titre était tiré de la même session que “Violence” et nous nous retrouvions aux côtés de groupes comme O.T.H., La Souris Déglinguée, Hot Pants, Parabellum, etc., enfin tous les groupes alternatifs en vue du moment (ne manquaient que les Bérus…). Nous avons reçu un super accueil. Je crois que ce titre apportait un peu de fraîcheur et de naïveté dans cette compilation de haut vol.
Ça va être l’heure des premières tournées ?
Patrice : OUI, bordéliques à souhait ! On tournait avec les moyens du bord, dans une deux chevaux et une 306 break… véridique ! Le tout avec une énergie incroyable. Etant un groupe de rock francophone nous avons beaucoup joué en France et dans les pays européens francophones (Suisse, Belgique, Allemagne). Quant au public, il était assez éclectique (j’entends par là que ce n’était pas un public majoritairement punk), et vraiment chaud bouillant. Je me rappelle notamment d’un concert à Dijon où pendant une coupure de courant Jean-Mi avait tenu le tempo avec la batterie et le public a chanté le morceau en cours pendant au moins vingt minutes !! Hallucinant ! Quand j’y repense, je me demande comment nous pouvions encore faire la fête après les concerts jusqu’au petit matin avec les mecs qui organisaient et repartir le lendemain pour une autre date !
En 1986, toujours chez Gougnaf, vous sortez l’album “Téquila” ?
Patrice : Je pense que c’était un superbe premier album, même si aujourd’hui je trouve que nous étions un peu limite musicalement. La pochette a été réalisée par Pierre Ouin (Bloody). C’est un album qui a été enregistré dans l’urgence au studio W.W. par Christophe Sourice, le batteur des Thugs, qui a trouvé le moyen de se faire choper par les flics dans le métro avec une barrette de shit, raccourcissant ainsi encore un peu plus notre temps alloué pour le mixage… Toutes les conditions étaient réunies pour faire un grand disque de Rock’n’Roll ! De plus, il a bénéficié de chroniques plutôt flatteuses dans les magazines rock nationaux (Best, Rock and Folk, Les Inrock’), et il s’est vendu comme des sachets d’herbe à l’îlot Châlon… Les choses commençaient à aller très vite pour nous. Nous n’étions pas encore conscients de ce qui se passait.
Quelles étaient les conditions d’enregistrement avec Christophe Sourice ?
Patrice : Christophe est un gars méticuleux qui s’investissait à 100% dans ce qu’il faisait, et il était d’une gentillesse rare. C’est une rencontre qui a beaucoup compté pour nous. Quant aux conditions, elles étaient exceptionnelles !! Un studio 24 pistes en analogique deux pouces, nous avions tout le nécessaire pour faire un disque digne de ce nom, si ce n’est que techniquement nous étions un peu juste et que Christophe n’avait pas encore l’expérience qu’il a acquis par la suite (sans compter sa petite mésaventure…) Nous étions encore des débutants et en fin de compte c’est ce qui fait le charme d’un premier album : l’énergie, la spontanéité et… l’inexpérience.
Vous avez aussi collaboré avec Géant-Vert ?
Patrice : La collaboration avec G.V.I. a commencé parce que Parabellum a refusé certains de ses textes. Ne voulant pas les jeter à la poubelle, il nous a contactés pour leur trouver un job… Je n’arrive toujours pas à comprendre comment Parabellum a pu refuser des textes comme “Khéops sur Seine” ou “Poubelle trouve un job” ?? Je trouve que G.V.I. nous a pondu notre meilleure pochette avec “L’oeil qu’il te manque”. Autant dans le concept que dans la réalisation.
G.V.I. : Les Rats ont toujours choisi les bons textes… Ils m’avaient contacté parce qu’ils voulaient faire deux titres. Je leur en avais présenté une dizaine, et je m’étais dit s’ils ne sont pas cons, ils prendront ces deux-là. Au bout de deux minutes ils en ont choisi trois, les trois que je voulais qu’il fasse. Il y avait “Khéops sur Seine”, et “Poubelle trouve un job” qui avaient été refusés par Parabellum. Il y a “Je m’emmerde”, avec un clip de Pascal Légitimus qui est d’une poésie… Mais les Rats ont flingué le montage, en voulant rajouter des photos… C’est une très belle chanson. J’ai fait d’autres trucs avec eux que j’aime beaucoup, comme “Télé-prompteur”, “Out”, une chanson sur la boxe… J’aime beaucoup la boxe…
Quelle a été votre attitude par rapport à la percée du FN au milieu des années 80 ?
Patrice : Nous sommes issus de la banlieue, des cités où la population est diverse dans ses origines et métissée. Nos camarades de classe étaient arabes, antillais ou asiatiques (notre bassiste était Marocain). La montée du FN est à mes yeux une honte, et l’exemple le plus flagrant de la bêtise et de la méchanceté des gens. Les Rats avaient sorti un single spéciale-dédicace entre les deux tours des présidentielles de 1988 qui s’intitulait “L’œil qu’il te manque”. Le texte de la chanson résume assez bien ce que nous inspire ce parti dont dont les dirigeants n’étaient pas seulement des fascistes mais aussi de véritables nazis.
G.V.I. : Quand j’ai écrit “L’œil qu’il te manque”, au départ ça devait être pour un maxi 45 tours. J’avais fait un projet de pochette, avec un collage. Finalement, le maxi 45 est sorti sans le morceau, ils en ont fait un 45 tours. J’apprends plus tard qu’il est sorti, et que la pochette c’est la maquette de collage que je leur avais proposé. Tu comprends mieux quand tu la vois… Il y a même une faute d’orthographe sur la carte postale au dos…
La droite au pouvoir en 1986 ?
Patrice : Pasqua, président du S.A.C. au ministère de l’intérieur ; la police dirigée par un personnage que beaucoup considéraient comme un hors-la-loi ; création d’une milice privée dans le métro parisien ; la jeunesse dans la rue et un dans le cercueil pour retirer le projet “Devaquet”… Voici en vrac quelques souvenirs de ces glorieuses années…
Peux-tu expliquer ce qu’était la Rat-Ya ?
Patrice : C’était notre No-Fun Club qui permettait à certains de rentrer gratos aux concerts, en échange d’un peu de propagande… (hé hé… !)
Vous participez à la tournée Rock en France avec Parabellum ?
Patrice : Parabellum redoutait de tourner avec nous. Nous avions la réputation d’être des petits branleurs qui savaient à peine jouer, qui foutaient le bordel partout où ils passaient (rien de vrai dans tout ça !!!), et qui ne respectaient personne… pas même Parabellum !… En fait, ça s’est super bien passé. Nous avons été le plateau qui a rameuté le plus de public avec celui des Portes-Mentaux, et Parabellum, avec les Sheriff, sont devenus les groupes avec lesquels nous avons le plus joué. Sven est un guitariste vraiment original et d’une grande modestie, Shultz est le Chuck Berry Lorrain et, Roland, était à mon sens un des bassistes les plus efficaces de la scène alternative de l’époque (d’ailleurs, il a été bassiste des Rats en 1990-91). Quant à Patrick, qui est capable de tenir un middle tempo comme il le fait ??
Quelle définition donnerais-tu du punk ?
Patrice : Je dirais que c’est du Rock et que parfois c’est de la soupe ! Si tu me demandes la définition du rock, je te dirai que c’est une musique populaire et juvénile qui doit rester sincère et spontanée. La cerise sur le gâteau étant lorsqu’elle réussit à être subversive.
Au rock alternatif ?
Patrice : Je préfère parler de scène alternative car elle ne se limite pas qu’au rock. C’est plutôt une façon de faire les choses : faire de la musique, organiser des concerts, éditer un fanzine ou créer une station de radio par passion, parce que cela te plaît et non dans un esprit purement mercantile, de rentabilité. Je dis “purement” car sans faire de la rentabilité, si tu veux que ton activité dure et s’adresse à un maximum de gens, il est clair que le côté financier doit être géré et contrôlé, mais cela ne doit pas être au détriment de l’expression. Je crois que la scène alternative française a eu des difficultés à assumer ce côté financier de la chose.
Revendiquiez vous ces images ?
Patrice : Les RATS n’était pas un groupe commercial et nous ne faisions aucune concession artistique. Maintenant, si nous ramenions plusieurs centaines de personnes à nos concerts, nous ne faisions aucun complexe à croquer notre part du gâteau et cela ne nous empêchait pas de jouer gratuitement pour des causes qui nous semblaient justes. G.V.I. : C’était chaotique de bosser avec eux… Mais c’était enrichissant, car ils écrivaient de très belles musiques… Ils savaient mettre la bonne musique sur les textes.