Tu as commencé à être animateur sur FMR en 81. Quel a été ton parcours ?
Vomi : J’ai passé mon enfance à Calais, qui est à vol d’oiseau à 40 bornes de l’Angleterre, et à moins de 100 de Londres… À l’époque en 1975, j’écoutais déjà une radio libre, “radio Caroline”, une radio pirate, réellement pirate, qui émettait depuis un bateau en mer du Nord, à l’embouchure de la Tamise. C’était une immense péniche, avec un mât de 50 mètres de haut qui se cassait la gueule dès qu’il y avait une tempête, il n’y avait pas d’infos, presque pas de pubs, et ils passaient de la musique que je n’avais jamais entendue… On avait cet accès à des musiques alternatives qu’on n’entendait nulle part ailleurs. En France, au mieux tu écoutais Bernard Lenoir, le soir, qui passait vaguement ce qui s’était fait à New York où à Londres deux ou trois ans auparavant. Mais ça restait vachement classique… Un autre truc important c’était John Peel, sur B.B.C. Radio One… Il passait, sans aucune censure, toutes les k7 que les groupes lui envoyaient. Il a passé les premiers morceaux des Sex Pistols…
Quand je suis arrivé sur Toulouse, impossible de capter ces émissions. Je m’occupais de la discothèque de la cité U, et j’avais eu l’idée de monter une radio pirate, qui devait s’appeler “Radio City”… On n’a pas pu trouver d’émetteur qui marche… J’écoutais ce qui se passait un peu sur les ondes, début 80, il y avait plusieurs radios pirates, une sur le Mirail, le mec se baladait avec l’émetteur dans une poussette, “Radio Barbe Rouge” (Canal Sud), et “radio F.M.R.”, qui émettait depuis un bar, le Regalty. C’était le lieu de rassemblementdes groupes alternatifs de Toulouse, le patron était déjanté, et, à l’étage, il y avait un petit local, un émetteur…
Eux aussi passaient de la musique qu’on n’entendait nulle part ailleurs. Je suis allé les voir, on a sympathisé, et je suis rentré à F.M.R. mi-81. Là, Mitterrand est arrivé, avec la libération des ondes, F.M.R. en a profité, est devenu plus officielle, a chopé un local en centre ville, un émetteur bricolé… On fonctionnait avec du matériel qui n’était pas pro du tout… Chacun avait ramené sa platine, ou son magnéto K7, le matos était hors de prix…
À F.M.R., on retrouvait plein de mecs passionnés par différents courants musicaux. Il y avait de tout, de la world music avant l’heure, de la musique indienne, africaine… Pas tellement de punk. Du coup, je suis arrivé avec mon stock de disques, mes enregistrements de John Peel… Je n’avais pas d’expérience là-dedans, mon objectif c’était de diffuser une musique alternative qui ait vraiment quelque chose à dire, pas comme toute cette guimauve qu’on entendait sur les ondes, aussi bien en France qu’en Angleterre. Une musique qui ait une revendication politique, qui traite des problèmes sociaux… Et qui ne soit pas de la soupe…
Le nom de l’émission c’était “Vomi froid”, c’est toujours le même, 27 ans après… Rires… Vomi froid, c’est un peu cette idée-là. À force d’absorber par les médias, la télé, la radio, les journaux, des trucs indigestes, tu as les dents du fond qui baignent, et il faut que ça ressorte. Une ouverture sur quelque chose qui existait, et qui n’avait pas droit à la parole jusque-là.
C’était principalement centré sur la musique punk/reggae, mais on aurait dit que c’était une soupape de sécurité… Les auditeurs appelaient pour pousser des coups de gueule, sur les flics, le front national, les commerçants… C’est un esprit qui a duré longtemps ! Le fait de donner la parole aux gens c’est devenu transversal à toutes les émissions de la radio. J’invitais souvent des groupes de punk, c’était speed !
Il y a eu quelques moments forts dans l’émission : l’interview de “Sous-Sol” dans le studio, on repart il est dévasté, obligé de le réparer pour l’émission suivante… Quand on a fait gagner des faux tickets pour avoir des Big Mac gratuits… J’annonce ça à la radio, une cinquantaine de mecs débarquent et raflent les tickets. Au début chez Mac Do ils commencent à donner des Big Macs et des cocas gratos et au bout d’un moment ils n’en peuvent plus, ils ne comprennent pas… Rires… Ça a failli finir en procès… Des émissions où l’on testait la dissoplast [colle à rustine, NDA], la bouffe pour chien, les bombes de mousse Chantilly, parce que le gaz propulseur était du protoxyde d’azote, le gaz hilarant, alors le studio était plein de Chantilly… Rires… Des interviews de groupes minables, mais des bons aussi ! C’est toujours dur d’interviewer un groupe punk, pas que ça finisse mal, mais à la fin il n’y a plus de bière… Rires…
Les grilles de programme tournaient autour de tout ce qui était culture alternative : musique, cinéma, théâtre… On n’avait pas une démarche purement politique, mais l’essentiel des radios libres était à gauche. Quand tu parles des squats, des flics, des manifs anti Le Pen, tu as choisi ton camp…
À Toulouse, il y a toujours eu un passé revendicatif vraiment actif, l’Espagne, la C.N.T., les anars, Action Directe, le SCALP, le CLODO, (comité de liquidation des ordinateurs)… C’était dans les années 80, un truc qui s’était monté sur Toulouse… À l’époque, un ordinateur ça ne voulait rien dire pour les gens… Eux, ils étaient un peu visionnaires, ils disaient : si les ordinateurs débarquent, si on laisse se généraliser ça dans les administrations, vous allez tous être fichés… Du coup, ils avaient fait sauter quelques trucs, des boîtes informatiques, des sociétés américaines… Ça a fait moins parler que les explosions anti Le Pen ! On se faisait le relais de ce genre de trucs. Dès qu’on avait des infos, on les faisait passer, on faisait des interviews…
Vous aviez des connexions avec d’autres radios libres ?
Vomi : Oui, assez informelles. Notamment pour faire tourner des groupes de musiques.
Quand allez-vous diversifier vos activités, notamment l’organisation de concerts ?
Vomi : Quasiment dès le départ… Pour les premières fêtes de la musique, on faisait déjà tourner des groupes jusqu’à 5 heures du mat… Après ça s’est bien enclenché, on avait des auditeurs… On a loué un local rue Fréderic Estebes, avec un bar, une salle resto, des bureaux et surtout une salle de concert. Là, on a organisé énormément de concerts… Ca marchait vraiment bien. Au final, ça s’est cassé la gueule parce que le loyer était vraiment trop cher pour nous.
On a aussi fait plusieurs fanzines, la photocopieuse marchait un max. On a produit des compilations. Il y avait beaucoup d’animateurs qui étaient dans un groupe en même temps. Sur ces compiles, il y avait la moitié de groupes “F.M.R.”, et l’autre moitié étaient des groupes français. On a commencé par des cassettes. Ces compilations s’appelaient “Ultra-Violettes”, il y a dû en avoir trois, et deux ou trois 33 tours. C’était assez inaudible. À part Dau Al Set, c’était très new-wave… Maintenant quand tu écoutes, c’est de la daube !!
Plein de gens disent que les radios libres se sont arrêtées en 83 ?
Vomi : Une radio libre, c’était potentiellement vachement de fric. C’était une fréquence qui avait été accordée par le CSA, et il n’y en avait pas 36. Donc, les grosses radios essayaient de les racheter. Et elles alignaient… Beaucoup se sont arrêtées par manque de personnel ou de choses à dire, mais aussi parce que le chèque proposé était tellement gros… Ce qui a sauvé F.M.R., c’est que c’était une radio alternative, et associative, donc la décision n’appartenait pas à une seule personne, mais à une multitude d’individus…
Quel était le fonctionnement de la radio ?
Vomi : À l’origine, se trouvent les “membres fondateurs”. Ils sont une dizaine, qui avaient filé qui sa platine, qui son magnéto K7, un peu de ronds… Ils sont restés un noyau soudé qui existe toujours… Ça a permis de garder l’identité alternative de la radio, de continuer à se foutre du fric, de la pub… À côté de ça, il y a une centaine d’animateurs qui gravitent…
Quel matériel aviez-vous ?
Vomi : Il y avait des trucs qu’on s’était bricolés… C’était galère… Mais c’est encore comme ça… Aujourd’hui c’est : qu’est ce qui ne marche pas ? À ’époque c’était : qu’est ce qui marche ? Chacun amenait un truc de chez lui. En général c’était ce que tu ne voulais plus chez toi. Tu achetais un magnéto, tu mettais l’ancien à F.M.R…. C’était le son F.M.R. !! Il y avait des blancs partout, les disques ne démarraient jamais à la bonne vitesse… D’un autre côté, John Peel après 20 ans de carrière se plantait toujours autant ; c’est ce qui faisait le son !
Les auditeurs c’était tout et n’importe quoi… Ceux qui cherchaient des meufs, ceux qui cherchaient des mecs, ceux qui voulaient aller casser du skin. Du coup les skins téléphonaient “qu’est ce que vous avez dit sur les skins ???”, des étudiants, qui voulaient le dernier disque de Génésis… Rires… Alors on leur expliquait que non, on arrivait avec nos disques, qu’il n’y avait pas une discothèque énorme à F.M.R…. Des gens paumés, d’autres qui se prenaient au jeu… Plutôt des jeunes… Des gens qui téléphonaient pour dire : “c’est lamentable ce que vous faites, il faut appeler la police !”, on leur répondait d’aller se faire voir, qu’ils n’avaient qu’à pas écouter… Et ça repartait de plus belle…
Beaucoup de groupes ont pu débuter grâce aux radios libres ?
Vomi : L’idéologie du punk quand ça a éclaté, c’était le Do It Yourself avant l’heure… Tu veux rencontrer les gens, tu veux t’exprimer, tu veux faire du bruit, tu prends une guitare, tu n’as pas besoin d’apprendre à jouer, tu arriveras à faire quelque chose… Il y a plein de groupes qui se sont montés comme ça sur Toulouse. Le bruit qu’ils faisaient, la posture qu’ils avaient, leurs paroles… On peut les qualifier de punks… Dans la revendication c’était ça. On a des choses à dire, on se fout des schémas musicaux, on crache notre truc…
C’était la seule diffusion qu’ils avaient. À l’époque tu achètes un disque soit parce que ton disquaire te l’a fait connaître, soit parce que tu l’as entendu sur une radio alternative. F.M.R., en 80, c’est le punk, la new-wave, et des trucs bizarres… Rires… De la musique des pays de l’est, du Zimbabwe, de Côte d’Ivoire… C’est l’intérêt de la radio de faire découvrir des choses…