Mat Firehair : Washington Dead Cats, ça a commencé fin 84… On écoutait du rockabilly, du swing, du garage sixties, et du punk. Et c’est vrai qu’à 13 ans c’est plus fun d’être punk que d’avoir une banane, ce qui était pour nous déjà un truc de vieux. Notre filiation nos influences étaient très rockabilly et sixties, et ce qu’on recherchait dans le punk c’était l’énergie positive que l’on y trouvait. La musique qu’on écoutait ça restait en gros du rockabilly et du punk donc on a monté un groupe de”punkabilly”.
On a toujours été plus Clash que Pistols, car ce qui nous motivait au-delà de la musique, c’était la prise de position politique. Après, notre culture 50’s a fait que je ne me sentais pas d’écrire des textes politisés, ce n’était pas ma sensibilité… On préférait parler de pizzas, de pin-up, de voitures… Mais il est vrai qu’on habitait en France, qu’il y avait la montée du Front National et qu’on venait malgré tout du punk rock et que le punk rock c’est politisé… sinon ce n’est pas du punk rock c’est du pub rock… On était bizarrement, à l’époque, le seul groupe influencé rock fifties ou sixties, avec un look, une énergie punk, ce qui était déjà un crime de lèse-majesté pour certains. Et en plus on avait ce truc de faire tous les concerts de soutien antifascistes… Par essence le rock’n’roll doit être rebelle !
Elvis était rebelle en 56 parce qu’il se déhanchait sur scène et qu’il avait une connotation sexuelle qui n’était pas du tout tolérée, qu’il chantait comme un noir… Notre position était simple :”quand tu t’habilles en 1985 comme Elvis en 1956 et que tu fais la même chose, que tu as le même look, tu n’es pas rebelle, tu es juste un mec qui fait du bal, qui reproduit un truc qui a déjà existé”. Si tu fais vraiment du rock, il faut être en accord, en harmonie avec ce qui se passe à ton époque. Le rock ça doit être rebelle et le problème ce n’était plus de chanter comme en 1956 et de se trémousser, c’était le Front National.” À partir de là, notre positionnement était très clair : notre groupe a toujours été fondamentalement anti-fasciste antiraciste.
Vous tourniez beaucoup dans la scène psychobilly quand même à l’époque ?
Mat Firehair : On a toujours pensé qu’on faisait du rock’n’roll. Il se trouve qu’on a commencé au début du psychobilly, qui a éclos en 81-82. On se considérait au départ comme un groupe de punk’a’billy. Finalement c’est la même chose, donc on s’est retrouvés assimilés à la scène psycho, ce qui à l’époque ne nous posait pas de problème. Il y avait plein de groupes qu’on adorait et avec qui l’on était potes les Batmobiles les Guanabatz, les Sting Rays, les Milk Shakes… Tous ces groupes-là étaient de gauche, à part un ou deux, comme Demented are Go… Du coup, on ne faisait pas de festivals avec eux ! On ne demandait pas à ce que le groupe ne joue pas, on disait juste : “Ces mecs-là ont fait le backing-band derrière le chanteur de Skrewdriver, ça ne nous intéresse pas de fréquenter des mecs qui jouent avec des néonazis.” Le mouvement psychobilly européen considérait que c’était une musique apolitique, qu’il fallait tolérer les skins… Nous, dans nos contrats qui étaient traduits en anglais, on ne tolérait pas que les gens qui arboraient des insignes fascistes ou à caractères racistes puissent rentrer aux concerts, on demandait qu’ils soient refusés. On a quand même fait finalement un festival psychobilly en 1988, en tête d’affiche, sur deux soirs, en Flandres, où il était précisé à l’entrée : “les Washington Dead Cats nous interdisent de laisser rentrer tous les gens avec des insignes nazis”… Qu’est ce qu’il s’est passé ? Des skins sont rentrés sans couleur comme on dit, et je me suis pris une bouteille de gin en pleine tête. J’ai fini à l’hôpital avec 18 points de suture… Mais à ce moment-là, notre action a été de remonter sur scène la gueule en sang et de dire “Je vous emmerde tous, ce que je pense, je l’assume et ce n’est pas une bouteille qui m’arrêtera !!!” Mat Firehair : Ça c’est un truc qui est incompréhensible pour moi : nous faisions une musique qui venait du rock’a’billy, du blues, vachement influencée par la musique noire… C’est comme les mecs qui font du blues et qui sont racistes… C’est irrationnel pour moi, c’est de la science-fiction… On s’est retrouvés positionnés, au niveau européen, comme le seul groupe psychobilly antifasciste. En Allemagne, on était le seul groupe psychobilly qui jouait dans les squats parce que les autres groupes attiraient toute cette engeance nazie. Du coup, il y des gens qui nous détestaient fondamentalement parce qu’ils nous disaient que la musique devait être apolitique. Nous, on ne faisait pas de textes politiques, mais on n’était pas apolitiques.
Sur Paris, en 84 vous jouiez où ? Mat Firehair : On a commencé chez Jimmy qui était le bar rock où traînait toute la faune rock’n’roll. C’étaient des bars tout pourris avec une sono pourrie… On s’est dégagé de cette scène assez rapidement vu qu’on a rejoint une scène beaucoup plus punk, parce qu’idéologiquement ça nous convenait. Même au niveau graphisme, c’était un truc où il n’y avait pas de limites, ça nous correspondait… Donc ça nous attirait plus que d’aller faire des trucs en costard cravate devant des mecs qui n’écoutaient que du rock 50.
Elvis n’a jamais jeté de poireaux ou de farine…
Mat Firehair : Non, quoique… Nous on l’a fait parce que c’était le contre-pied de la scène new-wave, gothique… J’aimais bien les Virgin Prunes, je trouvais ça très théâtralisé, mais c’était quand même le trip “c’est sinistre tout ça…” Les mecs bougeaient sur scène comme s’ils étaient trisomiques… ils arrivaient avec des têtes de veaux, ils balançaient des bouts de viande… La musique était sombre… Nous on avait juste envie de s’éclater, on faisait une musique de danse, et l’on s’est dit : vu que les mecs arrivent sur scène avec des têtes de veaux, nous on va balancer des légumes… C’était aussi simple que ça… Quelque part c’était très dadaïste et très en opposition. Pour nous, aucun code ne devait fonctionner de manière rigoureuse, c’était une époque où les codes étaient faits pour être transgressés. Quand on a fait la pochette du premier album “Go Vegetables Go !” les responsables de Bondage nous ont dit “ça ne marchera pas, les gens ne vont pas pouvoir identifier la musique ! - Mais vous voulez qu’on fasse quoi ? Qu’on pose en perfecto devant un mur de briques ?. On s’en fout : les gens qui nous suivent sauront pourquoi on fait ça, et c’est en accord avec nos chansons qu’on jette des poireaux sur scène… c’est un concept”.
Mat Firehair : Quand on a joué au Bikini, c’était avec une troupe qui s’appelait “Katerton” et il y avait un mur de flammes de deux mètres de haut entre nous et les gens que je devais allumer avec une torche. Il y avait 800 personnes ce soir-là, on fait les essais et Hervé me dit : “Toi, tu me signes une décharge, s’il se passe quoi que ce soit, tu es responsable !”. Je lui fais le papier :” je suis totalement responsable si la boîte prend feu, et qu’il y a des morts et tout…” Je lui donne le truc :
“-Hervé, tu le mets où ton papier ?
Là, dans mon bureau,
Je m’en fous de ton papier, si ça prend feu il va brûler avec toute la boîte !”
Hervé (Bikini) : Une fois, ils ont failli me faire une grosse connerie au Bikini… Ils étaient complètement inconscients ! Les Satellites jouaient en première partie. Ils avaient installé cette rampe de feu de un mètre de haut, qui traversait la scène, sans aucune protection… Moi j’étais devant, on reculait pour que les gens ne se crament pas, les Satellites protégeaient de l’autre côté.
Mat Firehair : Quand on a allumé le mur de flammes, j’ai tous les poils du bras qui ont cramé, ça a dégagé une chaleur ! J’étais contre la grosse caisse, les gens sont devenus hystériques, ils voulaient se jeter dans le feu, il y avait la sécu qui les tenait !
Hervé (Bikini) : Tous les mecs, quand ils ont vu le feu ont poussé en avant, nous on poussait en arrière, ça a failli être un carnage… Il y avait de l’inconscience, de l’inconscience… On découvrait la vie, on découvrait les choses…
Mat Firehair : C’était beau, mais on s’est dit la prochaine fois, on va limiter les dégâts, on va plutôt jeter des poireaux…
Comment fonctionniez-vous avec Bondage ?
Mat Firehair : Bondage a signé les Bérus et dans la foulée Nuclear Device qui n’étaient pas très loin des Brigades en terme musical. Derrière, il y a eu les Ludwig et les Wash. Pendant trois, quatre ans, on a été les quatre groupes du label, quatre groupes qui tournions ensemble et qui, je pense, ont fait ce qui est devenu le rock alternatif… Marsu gérait l’idéologie globale du label, même celle des Bérus. C’était un peu le commissaire politique, surtout pour les Bérus. Il avait vachement de discours et de réflexion par rapport à ce que devait être le rock. On était tous d’accord à l’époque, tout le monde allait dans le même sens. On était des groupes militants, on défendait les mêmes valeurs : faire des disques pas chers, des concerts pas chers, des concerts de soutien, refuser les radios commerciales et la SACEM parce que c’est un monopole. On ne voulait pas non plus aller sur des multinationales parce qu’on ne voulait pas qu’on nous dise ce qu’on avait à faire… Ces groupes-là disaient ensemble :”on fait une musique différente, d’une façon différente”. Ce n’était pas la même musique, mais on se retrouvait sur le fond. On ne voulait pas être des rockstars, on voulait faire de la musique et avoir une totale liberté en terme de créativité artistique. Je pense qu’on aurait été moins politisés si on n’avait pas été sur Bondage… Quand on a rencontré Bondage, on était déjà le premier groupe implicitement antifasciste, dans un créneau où les gens ne l’étaient pas du tout. Ça a créé des connexions, ça nous mis en rapport avec des associations qui étaient fondamentalement engagées, ça a fait boule de neige. Mat Firehair : Bondage ça n’était pas non plus Boucherie productions. Boucherie est arrivé au moins un an ou deux après, ils avaient un état d’esprit nettement moins politisé que Bondage. Chez Bondage il y avait des réunions avec tous les groupes, les managers, c’était assez collégial… Tu remarqueras qu’à l’époque, tous les concerts pour le SCALP, REFLEX, etc., ça n’était que des groupes Bondage, souvent avec Laid Thénardier, ou Dirty District… On avait la même vision de ce que devait être la musique, de ce qu’elle devait être pour les gens, pour le public… On a tous pris conscience de ça, et notre gros problème à l’époque, notre bête noire, c’était le Front National.
En 1986 vous sortez votre premier album ?
Mat Firehair : Le premier album, on l’a fait en 13 jours, mix compris ! On a fait toutes les voix en une journée, 14 chansons à la suite, et je chantais depuis à peine un an et demi ! En même temps, c’était ce qu’on voulait ! Je trouve qu’il est très bien produit ! Mat Firehair : C’était Kid Bravo ! En même temps, tu te dis qu’il a bien fait son travail parce que c’est quelqu’un qui a une vision globale de ce que doit être un disque… Quand je le réécoute, je me dis qu’il a une naïveté qu’on n’aura plus jamais : c’était notre premier disque, on ne savait pas pourquoi on était là, on se disait super, on joue, et on a fait 13 ou 14 morceaux dans la journée, c’était cool.
La scène, c’était vraiment important pour vous ? Mat Firehair : Quand j’arrive sur scène je suis chez moi et je considère que je n’ai plus le droit d’avoir peur parce que c’est une forme de respect envers le public, je suis là pour faire un spectacle, et je pense que cette notion de respect je l’ai acquise grâce au rock alternatif. Chez Bondage on considérait qu’on n’était pas meilleurs que les gens qui venaient nous voir, que c’était une question de globalité, un esprit d’équipe. On avait l’impression de construire un truc avec les fanzines, les radios libres, le public… Il y avait une envie que les choses bougent !!
Une dernière question… par rapport au nom du groupe… ?
Mat Firehair : Tu sais je ne réponds jamais à cette question… En fait, quand on avait 17 ans, on était autant fans des Stray Cats que des Dead Kennedys, et on cherchait un nom pour le groupe. Un jour, je vois une petite copine dans un café, et puis tu sais quand tu attends, tu notes, tu dessines des conneries… Elle avait écrit “Washington D.C.”, elle avait dessiné une tête de chat, et une croix à l’envers qui était le signe des voyous dans les films de Gene Vincent… Je regarde le truc et puis je vois la tête de chat, tiens chat” cat “ puis je vois la croix” dead “ : Washington Dead Cats… Putain c’était mortel ! Ça faisait rockabilly, punk, les Dead Kennedys et les Stray Cats !… et ça faisait super flambe !
Qu’est ce que tu retiens de tout ça ? Mat Firehair : À l’époque, tout était possible… ça nous a appris une certaine générosité, une vision de la musique où tu apprends à relativiser. Par exemple, avoir des idées politiques c’est plus important qu’une heure de retard sur une balance. Tu ne peux pas faire de la musique seulement pour gagner de l’argent, sans défendre aucune valeur. La musique, ça ne peut pas être fait avec hypocrisie… Comme la peinture ou le théâtre…