The Brigades voient le jour à Paris au début des années 80 ?
Vlad Dialectics : Il y a deux vies dans l’histoire du groupe, et les à côtés sont importants aussi. Tout commence fin 1981, c’est la première grosse vague punk en France qui se prépare, que l’on appellera plus tard rock alternatif, et c’est, en même temps, l’explosion des radios libres et l’apparition des premiers fanzines. Après un séjour sur Caen, je reviens sur Paris et je rencontre des gens qui faisaient des allers-retours sur Londres, qui squattaient, qui faisaient des fanzines. L’idée de départ des Brigades était simple : si des groupes comme les Clash avaient continué à développer toute la richesse musicale qu’il y avait à l’époque, notamment avec leur mix punk-reggae, qu’est ce que ça aurait donné ? Comment développer les trucs nés de la richesse de 1977, quatre ans après ?
Vous êtes quatre au départ ?
Vlad Dialectics : C’est ça, Chatterton à la basse, moi-même au chant, François dit Tony Aigri à la batterie, et Jean-Yves dit Kid Bravo à la guitare qui deviendra Kid Loco dans une autre vie.
Pourquoi ce nom “The Brigades” ?
Vlad Dialectics : On voulait un nom qui soit percutant, qui donne l’idée de quelque chose de combatif, et, en même temps, un nom que l’on comprenne dans plein de langues différentes. On s’était aperçu que les termes militaires se retrouvent dans plein de langues différentes. Et puis le côté “Brigades Rouges” nous faisait rire… On voulait que tout le monde comprenne immédiatement l’état d’esprit du groupe. Le nom plus l’étoile, on savait directement à qui l’on avait à faire… !
Vous avez une image de groupe très politique/politisé ?
Vlad Dialectics : On était aussi attaché au côté critique sociale qui existait dans le punk anglais ou américain, et qui était absent, à quelques exceptions près, dans le punk français médiatisé à l’époque. Les Brigades ont toujours été un groupe de la classe ouvrière, avec un discours assez militant, sans pour autant donner des leçons… Mais plutôt donner des clés par rapport à la situation telle qu’on la vivait, et inciter les gens à se prendre en main, à créer des groupes, faire des fanzines, à faire de la vidéo, avoir une intervention sur le terrain social.
On a réussi à être à la fois culturel, musical et politique. À l’époque, on est comme notre propre organisation politique, on réfléchit par nous-mêmes, on va décider de participer à des concerts contre le travail.
C’est une thématique récurrente chez vous !
Vlad Dialectics : … Rires… Oui, on considère que c’est la base de tout…
On a décidé de fonder le groupe fin 1981, on a commencé à répéter début 1982, et on diffusait nos cassettes sur les radios libres. Celles-ci ont permis de faire passer sur les ondes des groupes qui n’avaient pas enregistré de disques. Ce qui était le cas de beaucoup. Un groupe qui avait une démo correctement enregistrée, s’il connaissait quelqu’un dans une émission, avait beaucoup de chances de passer.
On commençait à être un peu connu dans les fanzines, et du coup on s’est dit que ça serait bien d’avoir un disque. On n’envisageait pas de démarcher auprès des grosses boîtes, ça ne nous intéressait pas du tout, ni les labels indépendants naissants, car ceux-ci privilégiaient les groupes chantant en français. On a décidé assez vite, que, si on voulait sortir un disque, on allait monter notre propre label. D’où l’idée, avec le guitariste, de monter une association “Rock Radicals Records”, et d’en faire notre label, pour pouvoir sortir les disques des Brigades, et, éventuellement d’autres groupes comme nous, qui faisaient face aux mêmes difficultés, et qui n’avaient pas non plus envie d’aller démarcher les majors.
Parce qu’autant en 1977, les majors étaient un peu à l’écoute, en se disant : “on peut faire du blé”, autant là, les conditions étaient draconiennes : en gros, ce qu’elles voulaient, c’était des groupes plutôt formatés new-wave, pas des groupes punks.
Vous êtes un des premiers groupes à avoir traduit vos paroles ?
Vlad Dialectics : On avait l’idée de toujours mettre nos paroles. Vu qu’on chantait en anglais, il nous apparaissait normal que tout le monde puisse comprendre ce qu’on racontait.
On chantait en anglais pour l’aspect rayonnement, pour pouvoir être compris au niveau international, et le second aspect concernait la musique des mots. L’anglais est plus favorable pour faire du rock. Je trouve ça plus beau, plus mélodique que le français qui est plus heurté. Je composais directement en anglais, ce n’était pas de la traduction. Je pense que je n’aurais pas pu écrire les mêmes textes en français.
Au début des années 80, l’état de la scène est embryonnaire, vous jouez où ?
Vlad Dialectics : Dans cette première vie des Brigades, ça reste très local, on ne joue quasiment exclusivement que sur Paris. Essentiellement le milieu squat, les Cascades, Pali-Kao, les Vilins. On va faire la jonction entre les squats du 20ème arrondissement, autour de la rue des Cascades, et des groupes anglais par l’intermédiaire d’une copine qui faisait un fanzine, “Burning Rome”. On a fait notamment venir UK Decay, qui a été pour nous l’occasion d’un concert gigantesque dans l’ancien garage rue des Cascades, qui a amené presque 800 personnes. Ça a donné une réputation au groupe, on commençait à être plus connus.
On avait la chance, au début, d’avoir des squats ouverts où jouer, ce qui palliait le manque de salles.
Par le biais de R.R.R., vous sortez vos premières productions ?
Vlad Dialectics : On a véritablement commencé en 1982, on a sorti un 45 tours en 1983, un six titres “Bombs n’Blood n’Capital” toujours sur R.R.R., et ensuite un maxi 45 tours, “Ready Ready Go”. Ça c’est un truc dont on est vachement fier, avec “Ready Ready Go”, on est rentré dans les charts indépendants anglais, à la 47 ou 48ème place, pendant une semaine. On a dû en vendre mille, ce qui veut dire, malgré tout, que c’était assez confidentiel. Après ce maxi, en 1984, le guitariste (Kid Bravo) pensait que l’on avait fait le tour, il voulait passer à autre chose, un jour punk, un jour rock, il est très changeant !!! Le batteur ne voulait plus faire de concert, donc, au moment où l’on voulait préparer un vrai album, le groupe a splitté.
On a donc cherché de nouveaux musiciens, puis sont arrivés Miguel à la batterie et Franck de Toulouse à la guitare, ce qui a donné la formation qui va durer jusqu’en 1989. Là, on va avoir une vraie vie de groupe, avec des tournées construites, en Angleterre, en Allemagne, en Pologne.
C’est la deuxième vie des Brigades ?
Vlad Dialectics : Nos morceaux sont devenus plus innovants, même si au départ la mise en place a été difficile, avec des gens qui n’avaient pas l’habitude de jouer ensemble. Les débuts ont été parfois assez chaotiques !!! On ne jouait pas trop au début, puis en 1985 sont venus de nombreux concerts sur Toulouse, qui est devenue une de nos villes fétiches.
À partir de cette époque vous allez beaucoup plus tourner ?
Vlad Dialectics : On va faire des petites tournées en Angleterre, par le biais de contacts avec Attila the Stockbroker et Newton Neurotics. Une première dans des pubs (Carlyle, Harlow, Leeds), et la seconde, en 1986, où l’on part jouer en Angleterre en soutien aux mineurs en grève. À la sortie de l’hiver 1985, la grève continue, de nombreux concerts de soutien sont organisés, auxquels ont participés la plupart des groupes punks de l’époque, Angelic Upstarts, The Redskins, Newton Neurotics notamment. On a retrouvé les Redskins dans le nord-ouest de l’Angleterre, pour un super concert. Il y avait des tables du syndicat tenues par les femmes des mineurs, des banderoles dans toute la salle. C’est un super souvenir pour nous de s’être inscrit dans cette démarche.
C’est quelque chose qu’on n’arrivera pas à faire en France, cette unité entre politique, culturel, musical, syndical. Ici tout est très cloisonné. Si tu es musicien, on ne prend pas ta parole au sérieux, il vaut mieux laisser ça aux politiques, aux gens des organisations “qui savent”. Ici, si tu es dans un groupe tu es un saltimbanque. Ce cloisonnement est vachement néfaste. En Angleterre ou en Italie, cette frontière n’existe pas. Tu as le droit à la parole politique autant qu’un autre, sans être taxé de bobo à la Manu Chao, en tant qu’individu politique, social… Ce brassage se fait de manière beaucoup plus naturelle. Il apparaît normal, pour les militants autonomes italiens d’organiser des concerts punks devant les usines, ou en Angleterre de faire des concerts de soutien pour les mineurs ou les postiers. C’est impensable en France.
On essaiera, en 1986, de faire un concert de soutien aux cheminots, mais on ne trouvera pas de relais syndical pour nous aider à l’organisation… En France, le concert de soutien va être pour la fête de l’Huma, on ne sait pas marier la fête et la lutte. On s’en est toujours tenu au rock contre le racisme ou contre les fachos, mais sur le terrain des luttes sociales, on n’y est jamais arrivé. Je pense que c’est beaucoup dû aux histoires différentes de chaque pays. Aussi bien les confédérations syndicales, que les organisations politiques d’extrême gauche maintiennent ce cloisonnement et vont appeler les artistes à leur fête de soutien, mais ne vont pas dans le cadre d’une lutte organiser un truc avec musique, théâtre ou marionnettes…
On va partir réaliser trois ou quatre tournées en Allemagne, dont une mémorable, de soutien aux militants de la Fraction Armée Rouge emprisonnés dans les caissons de privation sensorielle. C’est l’époque où les groupes militants allemands rencontrent la scène française.
Tous les groupes sollicités pour cette tournée avaient refusé parce qu’ils pensaient qu’on leur demande de cautionner la Fraction Armée Rouge, excepté The Brigades et Haine Brigade. Nous on considérait qu’on allait jouer pour dénoncer les conditions de détention. Les Allemands qu’on a rencontrés, ceux qui organisaient la tournée, nous ont dit : “il y a un problème, dans un de vos textes vous dites : il n’y a pas de communistes au Kremlin… Nous sommes contre l’impérialisme américain, et il ne faut pas parler de ce qui se passe à l’est “. On leur a répondu qu’on parlait de tout, et que si on devait jouer, ce serait l’ensemble de nos morceaux. Ils se sont réunis et, une semaine après, nous ont répondus qu’ils ne pratiquaient pas la censure, mais que nous devrions assumer nos paroles face au public allemand, qui ne serait pas d’accord avec nous. Lors du premier concert, on a placé le morceau au début du set, j’ai fait une présentation au public sur le thème “ni Washington ni Moscou », et on a obtenu un super soutien du public !! CQFD !
Vous étiez plus rattachés à la vague 77 qu’au rock alternatif ?
Vlad Dialectics : Musicalement oui, même si on s’est croisé à de nombreuses reprises. Grâce à Marsu, on a fait quelques dates avec les Bérus, à Quimper, Metz, Strasbourg, Aulnoy-Emery à côté de Maubeuge. C’était en 1988. Béru était évidemment le groupe vedette. On avait deux types de public : des lycéens, étudiants surtout pour les Bérus, et des jeunes prolos/chômeurs, surtout pour the Brigades.
Après ces concerts-là, on est reparti en Allemagne, et ensuite est arrivée la dernière année, où l’on a réalisé une tournée en Pologne, peut être un des plus beaux souvenirs du groupe.
Là aussi, c’est arrivé assez bizarrement. C’est un copain, qui s’occupait du fanzine New Wave, qui avait eu des contacts avec le groupe polonais Dezerters, qui organisait des tournées pour des groupes francais. On est en 1988, le régime stalinien est encore en place, la région de la Baltique est en état de siège, et l’on nous a proposé une tournée en Pologne, avec interdiction d’aller jouer dans des coins comme Gdansk…
Chose très étonnante, sur la radio d’état, on entendait “Anarchy in the UK”, “White Riot”… On était en 1988, et on trouvait des vinyles pressage d’état de Stiff Little Fingers, Angelic Upstarts… Et le guide nous a expliqué que tous les disques punks qui critiquaient le capitalisme à l’Ouest, on pouvait les trouver. Par contre, impossible d’acheter tout ce qui était critique de l’Est, on ne le trouvait pas, notamment les Redskins ou Dezerters, qui se vendaient sous le manteau. On a fait des concerts incroyables dans des villes de 50.000 habitants, en province, avec un public de 300-400 personnes, des lundis soirs, des mardis soirs…
Ce genre de concerts va accélérer la fin des Brigades…
Là-bas, le public connaissait tout ce qui se faisait aux U.S.A., notamment par le biais du marché noir, ils étaient passionnés de musique, enthousiastes, ils soutenaient les groupes… Ils nous ont expliqué que chez eux le service militaire durait deux ans, et que tous les punks demandaient à s’inscrire dans la fanfare… Il y avait beaucoup de déserteurs, notamment dans la forêt près des monts Tatras, à la frontière tchèque. Pour notre dernier concert, on a joué dans une ville avec une importante industrie sidérurgique. Un gars de la police politique venait d’être tué dans une usine une semaine auparavant. Tous les mecs du public affichaient des badges Solidarnosc, anars, antipouvoir.
Il ne s’est rien passé rien, on avait l’impression que les autres avaient abandonné, qu’ils savaient qu’ils avaient déjà perdu. À la fin du concert, on s’est retrouvé avec de l’argent polonais, qui ne pouvait sortir de Pologne… Après avoir fait le plein, on a donc décidé de donner notre cachet aux ouvriers en grève de la région. Et pour faire ce don, on s’est retrouvé dans une situation hallucinante pour les Brigades, on a dû passer par un curé. On s’est donc retrouvés dans une vieille église à remettre de l’argent à un curé, sous contrôle des organisateurs !!
On rentre donc en France, et quelques semaines après, on a un nouveau concert, à Alençon organisé par le groupe Verdun. Là, on a un public de 50-60 personnes, et on redescend sur terre. Ce n’est plus 400 dans une ville de province, mais 50. Et c’est un bon soir… Au milieu du set, bagarre dans la salle…
À la fin du concert, on était tous complètement abattus. Chatterton nous dit : “Ce n’est pas la peine de continuer, on n’a aucun retour par rapport à l’énergie qu’on donne. Aujourd’hui c’est pareil, pour tenir un label, il faut être capable de faire plus de pub que les publicitaires eux-mêmes”. C’était déjà le début de la fin de la distribution indépendante, avec les chaînes de magasin qui mettaient des restrictions énormes… “Moi, je pense que je vais tout arrêter“.
Un peu de fatigue et de désillusion ?
Vlad Dialectics : Il se passait beaucoup plus de choses pour nous avec le public polonais, ou anglais, qu’en France… Et il faut rajouter la fatigue effectivement, le poids des tournées, et aussi des aspirations différentes pour chacun. Miguel jouait déjà avec Dirty District, et à cette époque-là ils commençaient à tourner beaucoup…
Vous décidez donc à cette période de mettre un terme au groupe ?
Vlad Dialectics : Ça allait plutôt mal, et l’on a donc décidé de programmer la fin du groupe pour un concert sous chapiteau, avec Nuclear Device et d’autres groupes. Ce qui est curieux, c’est que c’est arrivé au même moment pour plusieurs groupes. Notamment les Bérurier Noir, coincés entre leur gigantesque succès et l’envie de ne pas devenir professionnels, pour Loran notamment. Eux aussi vont décider de préserver le truc et d’arrêter.
C’est très triste d’arrêter quand tu sais que tu n’es pas, musicalement, au bout de ce que tu peux faire, que tu n’es pas saturé, que tu n’as pas l’impression de te répéter, que tu as toujours des choses à dire. On était arrivés dans une nouvelle phase, après ces tournées, où l’on arrivait à composer de nouveaux morceaux, différents.
Arrêter le groupe dans une telle période de créativité, ça a été vraiment très dur à digérer… L’idée a donc été de refaire un groupe au plus vite ! [qui sera The Informers, NDA]