#Le fanzine New Wave est une référence sur la scène française. Avant de s’attarder sur son cas, est ce que tu peux donner une définition du fanzine, du fanzinat ?

Patrice Herr Sang : Comme son nom l’indique, d’un point de vue général, le fanzine est un magazine réalisé par un ou des fans avec les moyens du bord. Ensuite, comme pour tout, il y a des varia-tions. Dans la forme, cela peut aller du quatre pages photocopié fait maison à la revue luxueuse et en couleurs. Pour ce qui est du contenu, le fanzine peut être engagé politiquement, socialement ou se positionner juste dans le cadre restreint du fan. C’est sûr qu’un fanzine rédigé par un fan de Mylène Farmer n’a pas les mêmes perspectives qu’un fanzine rédigé par des anarchopunks, des redskins ou des alternatifs. Disons qu’il y a un point commun à tous les fanzines  : c’est que le fanzinat existe parce que la majorité des gens ne sont pas satisfaits par les gros médias, par leur façon d’ignorer un certain nombre de sujets, voire d’en déformer la perception. À chaque fois qu’un fanzine se crée, c’est pour remplir un vide ou rétablir une vérité. Donc, au-delà d’être simplement le bulletin d’un fan/atique (fan à tics ?), le fanzine est avant tout une autre façon de communiquer, d’informer et de faire connaître la réalité, une culture différente de celle dite “dominante”.

#Peux-tu présenter New Wave ?

Patrice Herr Sang : Alors, déjà, un point important  : le zine ne s’appelle pas New Wave en référence à la new wave, cette tendance musicale apparue au début des années 80 comme réponse “soft” au punk. Nous avons choisi ce nom au sens de “nouvelle vague”, c’est-à-dire les nouvelles vagues musicales venant secouer le monde du rock, soit sous une forme originale (création de nouvelles formes comme le punk), soit sous l’aspect d’un revival au sens retour et rajeunissement d’une ancienne forme musicale (ska par exemple). C’est pourquoi, donc en 1980, nous avons décidé de créer “New Wave” afin d’y présenter tout ce qui se faisait de nouveau dans l’univers rock. Rock au sens large puisque le rock n’est pas seulement une musique mais toute une culture. Il y a des livres, des films, des BD rocks.

#La démarche de création du zine était-elle uniquement musicale, esthétique ?

Patrice Herr Sang : La démarche du zine ne s’est jamais restreinte à la musique ou à l’esthétique. D’abord, parce qu’en partant du punk, on n’était déjà plus dans un cadre purement musical ou esthétique. Et ensuite, parce que créer un fanzine est toujours un acte extra-culturel, politique, puisqu’il signifie  : je ne suis pas satisfait des médias, je ne me contente pas de râler, je pallie ce manque en créant mon propre média (la démarche Do It Yourself/Faites-le vous-même). Ainsi toute démarche de création d’un fanzine va au-delà de tout cadre simplement musical ou esthétique. Elle est toujours politique. Ensuite, le nôtre l’était encore plus de par son contexte. Il a été créé par une dizaine de personnes issues du Collectif des Mineur/es de moins de 18 ans, mouvement qui lutta de 1978 à 1980 pour le droit des enfants et édita son propre fanzine (Le Péril Jeune). Et le fanzine s’est placé sur un terrain politique dès le départ, ne serait-ce qu’en “nommant “ une directrice âgée de 16 ans alors que la loi l’interdisait.

#Quel était le contenu rédactionnel du fanzine ? Le titre suggère qu’on ne parle pas que de punk  ?

Patrice Herr Sang : Dès le départ, on s’est défini trois grands axes  : parler de la nouvelle scène rock hexagonale émergente (il faut juste se rappeler que la première grande vague rock en date des années 60/65 avec la vague yé-yé, qu’ensuite cela a plus que périclité, la variété écrasant tout, au point qu’autour de 1970 on avait à peine quelques dizaines de groupes en France, alors qu’en 1985 la SACEM enregistrait plus de 35.000 groupes, ce qui est énorme si on n’oublie pas que la majorité des groupes ne s’enregistraient pas) ; montrer que le rock n’est pas qu’anglo-saxon, qu’il y a des scènes polonaise, japonaise, brésilienne ; enfin informer sur la culture rock en général, donc cinéma, littérature, graphisme, et ses liens avec la politique, les luttes, la contestation.

#Tu as rapidement développé les activités annexes au zine ?

Patrice Herr Sang : À la base, toutes les personnes qui participaient à la création du zine avaient déjà des activités politico-culturelles annexes. Avec le zine, cela s’est développé naturellement. À force de rencontrer des gens qui s’autoproduisaient et avaient du mal à se diffuser, nous avons jeté les bases d’un réseau de distribution (Al di La). Puis à force de recevoir des démos, nous avons lancé notre propre label (New Wave Records). Puis la section court-métrages (Thrash Sédition), l’édition (Éditions du Yunnan), etc. Avant de faire New Wave, nous avions, pour les plus vieux, déjà à notre actif un paquet d’autres fanzines  ! Certains faisaient des court-métrages, d’autres écrivaient, etc.

#Quelle est la place du fanzinat dans le développement d’une contre-culture ? Sur l’exemple français des années 80 ?

Patrice Herr Sang : Et bien, je reprendrais la définition de Lénine qui expliquait dans “Que faire ?” à quoi sert un journal  : c’est un organisateur collectif. C’est-à-dire qu’un journal te sert d’une façon collective, à la fois à informer, analyser et organiser. Le fanzine permet à toute une contre-culture de se faire connaître, de donner son point de vue et de s’organiser pour la développer. Aucun mouvement politique ou culturel ne peut exister sans une expression concrète, centralisée qui, dans un mouvement de va-et-vient enrichissant, rend compte des expériences, donne envie de faire et aide à faire. Pour la France, ce fut essentiel car la scène rock en 1975 était dominée par trois gros magazines, Rock & Folk, Best et Extra, qui ne donnaient que le point de vue dominant sur la face commerciale du rock. Je le montre dans le livre que nous publions “Vivre pas survivre”, où, dans un chapitre nous analysons ce que faisaient ces trois magazines au moment de l’émergence du punk. Au lieu de parler des Sex Pistols, ils tartinaient sur les Rolling Stones ou les Who à raison de 25 pages par numéro  ! Donc comme aucun gros média rock ne parlait du punk, c’est le fanzinat qui a fait savoir ce qui se passait de réellement intéressant, jouant un rôle d’avant-garde, de découvreur. Et les gros médias ont, par la suite, couru après le coche pour rattraper leur retard.

#Quel a selon toi été l’impact des radios libres sur la scène punk en France ?

Patrice Herr Sang : Tout comme les fanzines, les radios libres ont permis d’entendre ce qui se faisait. Évidemment, tous ces groupes étaient bannis des ondes nationales, radiodiffusées ou télévisuelles. Déjà, le rock dit classique est quasiment banni des ondes. Cite-moi une émission de rock sur les six chaînes dominantes, hormis Tracks ? Même les gros sont invisibles  ! Alors les petits, les nouveaux, les gêneurs, n’en parlons pas. La parenthèse “Platine 45”, “Les Enfants du Rock” est refermée, tout comme son ancêtre des années 60 “Âge Tendre et Tête de Bois”. La culture dominante ne supporte pas le rock, elle lui préfère la variété insipide et les bidons de la Star’Ac. La radio libre des années 80 a joué le même rôle qu’Europe 1 à ses débuts dans les années 60  : faire entendre. C’est sur Europe 1, dans “Salut les Copains”, qu’on découvrait entre 1960 et 1965 les groupes de rock yé-yé. Et ce sont sur les radios libres qu’on découvrira les punks entre 1977 et 1981. Bon, avec la récupération commerciale permanente, ça ne dure jamais. Demeurent ici et là des îlots de résistance culturelle, des radios qui restent libres et animées de l’esprit fanzine. Comme se développent maintenant les webzines.

#Une des caractéristiques de la scène punk, surtout dans ces années où tout reste à construire est le système D. Quels étaient les moyens de New Wave ? (rédaction, diffusion…)

Patrice Herr Sang : Nos moyens financiers reposaient sur les indemnités de chômage des huit fondateurs (un fondateur et sept fondatrices plus précisément). Il existait à l’époque une indemnité mensuelle donnée à tout jeune à la recherche d’un premier emploi, ce qui était le cas de sept des huit personnes impliquées. Puis il y avait les petits boulots. Ensuite, comme tout réseau D.I.Y., on se basait sur des affinités, c’est-à-dire des imprimeurs amis qui nous faisaient des prix. La diffusion reposait sur la prise en charge par tout un chacun. Le groupe dont on parlait faisait circuler autour de lui, par exemple. À partir du moment où dans cette constellation, chacun a besoin de l’autre, une solidarité active se construit. Via l’échange, notamment. Et cela vite au niveau international car le fanzinat est ouvert, internationaliste.

#Quels sont les groupes français de ces années que tu retiens ? Et pourquoi ?

Patrice Herr Sang : Citer tous les groupes que je retiendrais serait un peu long. Alors, je ne vais citer que ceux qu’on a, à mon avis, trop vite oubliés alors qu’ils furent essentiels et super représentatifs de l’époque, à savoir À Trois dans les W.C. (devenu WC3), Taxi Girl, État d’Urgence (le premier groupe de Maurice G. Dantec le romancier), Radio Romance, Norma Loy, Guilty Razors, Gazoline, les Lou’s, Ici Paris et Bijou. J’en oublie, qu’ils me pardonnent.

#As tu une définition du punk ?

Patrice Herr Sang : Le mot punk a toujours été utilisé dans la langue anglo-saxonne pour désigner les “déchets” de la société, les rejets de cette même société. Mais en réalité, cela a toujours désigné ce qui allait se faire de mieux dans cette même société. Ainsi, dans les années 60, le garage punk aux USA donna les meilleurs groupes du futur, les plus grands hits, un son inoubliable (sixties, psychédélique, etc.). Une musique qui perdure, tout comme le punk des années 70. Quelle est alors notre définition du punk ? Une attitude de rébellion contre la société avec une démarche positive D.I.Y. Les médias dominants ont toujours voulu réduire le punk au No Future et au nihilisme, mais quand on voit la richesse de ce mouvement, on voit qu’il est tout sauf nihiliste et que, rejetant le “no future” qu’on lui proposait, il a choisi de se construire SON futur.

#Du rock alternatif ?

Patrice Herr Sang : Le rock alternatif n’est qu’un élargissement du punk, c’est-à-dire qu’il montrait qu’on pouvait être dans le même état d’esprit sans obligatoirement faire du Sex Pistols, du Clash ou du U.K. Subs. Être sincère, balancer de l’énergie, s’impliquer, être actif, créatif et réactif, que vous faites du ska, du punk, du crust, du rock’n’roll, peu importe. Le tout étant de le faire d’une façon différente de la culture dite dominante, commerciale.

#Le suicide des Bérus à l’Olympia ?

Patrice Herr Sang : Un faux suicide puisqu’ils sont revenus  ! Je pense qu’une partie du rock alternatif n’était pas sincère, voulait juste la reconnaissance des gros, des majors du disque, être le Roi Hallyday à la place du Roi Hallyday. Et les Bérus, présentés comme les chefs de file de ce courant, ont refusé d’endosser un mouvement qui devenait trop un fourre-tout où se mêlaient groupes sincères et arrivistes. (Rappelons qu’à l’époque, la social-démocratie des Mitterrand et Jack Lang manipulaient cette scène “alternative” en la noyant sous le fric – millions gaspillés dans des clips inutiles - pour servir leur politique pseudo socialisante, vieille soupe que Ségolène Royal essaie de resservir aujourd’hui). Leur auto-dissolution a précédé l’implosion de cette auberge espagnole et aujourd’hui, c’est plus clair. Il y a les arrivistes et il y a les alternatifs. On ne peut plus les confondre. Donc les Bérus ont choisi de s’auto-dissoudre, provisoirement (ce provisoire était-il conscient ? Il faut le leur demander). Maintenant, certains diront que le vrai suicide, c’est peut-être de reformer les Bérus tels quels…. C’est un autre débat.