À quand fais-tu remonter la naissance des Happy Drivers  ?

Jay Xoff  : Pour la fête de la musique, en 85, on décide avec des copains de monter un groupe dans le village où j’habitais, à Villevêque. Le contrebassiste avait sa contrebasse depuis quinze jours, le batteur avait pu s’acheter une caisse claire, moi j’étais déjà guitariste, et on a joué sur une remorque de tracteur, à 2 ou 300 mètres de chez moi. Terry Lark (thierry) le batteur-mécanicien va être un des piliers du groupe, on jouera ensemble jusqu’à la fin. En 85, à Angers, il n’y avait pas grand-chose. Les Thugs, j’ai vu leur premier concert, j’avais trouvé ça très bruyant. Je crois que je n’avais pas tout compris…  !

Vous étiez déjà dans le trip rock’a’billy ?

Jay Xoff  : Oui, à l’américaine, avec contrebasse, guitare épaisse et petite banane… On aimait les vieilles bagnoles, les vieilles fringues… Puis, petit à petit, ça a évolué… En gros, chaque fois que le groupe a été mis dans une case, on a eu envie de faire autre chose. On a joué dans des concerts purement rock’a’billy, il y avait notamment les Alligators, avec un mec qui a chanté après dans les Pow Wow. Puis on a découvert, notamment par le biais d’Alain, la scène psychobilly anglaise… Et une fois qu’on a eu un public psycho, on est passé au trash !!

Vous avez toujours été en trio  : c’était un choix ?

Jay Xoff  : On ne l’a pas vraiment réfléchi, on a toujours été en équipe commando. À trois on pouvait rentrer dans une voiture, on mettait même la contrebasse dedans, et on pouvait se barrer. Avoir un guitariste en plus, ce qui aurait été la chose logique, ce n’aurait pas été beaucoup plus efficace. Dans le trio, il ne peut pas y avoir de feignants. Il y a pas de concurrence entre deux guitaristes, tout le monde est obligé d’assurer. Sur scène, on avait une configuration en triangle, donc pas de chanteur devant le batteur, chacun avait sa place. Pendant un an, on a dû faire une quinzaine de concerts, il y a eu des modifications dans le groupe, le contrebassiste Francky est parti, il a été remplacé par Mickey, un contrebassiste de Vienne, un pote des Mescaleros, mais il nous a abandonnés au bout d’un an.

Vos premiers disques sont des auto-produits ?

Jay Xoff  : Le tout premier 45 tours est sorti chez Scalen, mais le premier album a été autoproduit. Il a été enregistré à la maison, on avait loué un 16 pistes à bande, qu’on a installé dans notre cave, pendant huit jours. La référence du disque est “Iguane 001”, en référence à notre premier contrebassiste qui avait ce surnom. Par la suite, on a rencontré Gougnaf, la copine de Rico nous avait vus en concert à l’époque. Le label New Rose avait refusé notre disque, et par l’intermédiaire de Gougnaf, six mois après il se retrouve à sortir. On l’a enregistré au studio Lakanal, à Montpellier. On a enregistré six titres, c’était un 10 pouces. Les premiers étaient roses fluo, on l’aimait bien ce disque, il avait un bon format, une belle gueule… Je crois que les Vierges et les Carayos ont sorti des disques dans ce format-là dans la même collection. On a dû sortir le 33 tours en mars 88, et en juin le 10 pouces “Indians on the road”. C’était avant l’arrivée d’Alain. On a fait quelques dates avec cet album, et Mickey notre contrebassiste nous a abandonnés…

Jay Xoff  : En 1988, on avait tous largué nos boulots, ce qui nous intéressait vraiment c’était la musique… On a alors téléphoné à la contrebassiste des Crabs, qui était un groupe de Lyon, mais ça n’a pas fonctionné, et je me suis dit, sur les conseils d’Alain des Vierges, pourquoi ne pas téléphoner au contrebassiste de Carayos. Je connaissais à peine. Alain était branché, il voulait faire un trio, il voulait faire du psychobilly, mais il avait peu de temps parce qu’il jouait encore avec les Wampas. Peu de temps après il s’est fait virer des Wampas. Il a donc finalement accepté. Il y avait un concert au Zénith, avec tous les groupes punks rock de l’époque, et on est allé le chercher à la sortie du concert, on l’a embarqué dans notre bagnole et on est revenu sur Angers. C’est assez drôle, pour nous qui étions un groupe de bouseux, d’aller chercher notre contrebassiste au Zénith !

Alain  : Ce sont les Happy qui m’ont appelé. À l’époque, en France, il n’y avait pas beaucoup de contrebassistes capables de jouer ce genre de musique. Pour moi c’était le seul groupe en France, à l’écoute de leur deuxième album, qui faisait ce que j’avais envie de jouer. Je me suis dit  : “s’il y a moyen d’aller plus loin dans la modernisation du rock’a’billy avec eux, pourquoi pas”. S’ils m’avaient contacté en n’ayant sorti que leur premier disque j’aurais dit non. Il était trop puriste, 50’s, mignon, le deuxième est nettement plus moderne. Je leur avais demandé, histoire de voir leur réaction si ça ne les dérangerait pas de faire une reprise de Madonna. Parce que si ca avait été des puristes, des rockab’ pourris, bloqués sur les années 50, ça m’aurait cassé les couilles ! Jay Xoff : Je lui avais répondu  : écoute, pourquoi pas. On avait déjà fait une reprise de John Baez. J’avais déjà une grande ouverture d’esprit, et quand il m’a proposé de jouer du Madonna, j’étais partant pour ce genre de truc complètement hurluberlus. Refaire des reprises d’Elvis, ça m’aurait gonflé très vite.

Alain  : Je n’ai pas regretté ! Et je suis arrivé fin 88. C’est marrant parce qu’à l’époque je n’écoutais plus de psycho, que du rap…

Jay Xoff : Nous habitions Angers, lui Choisy-le-Roy, en banlieue parisienne, et du coup, il venait 15 jours par moi habiter chez nous. Les quinze jours restant, il les passait avec les Carayos. Peu de temps après, il a été contacté pour jouer avec la Mano Negra, on lui a laissé le temps de réfléchir. Quinze jours après, il a décidé de rester avec nous, et on a monté ce trio psychobilly, punk’a’billy. On a fait un premier concert au Farenheit, qui a été un véritable déclic. L’arrivée d’Alain nous a vraiment ouverts à la scène alternative. À ce concert étaient présents, François de Boucherie production, les gens des Washington… Je n’ai pas retenu tous les noms parce que je ne connaissais personne, mais ils ont aimé, et du jour au lendemain, on est devenu un groupe de la mouvance alternative, avec la connexion parisienne…  ! Ça nous a ouvert beaucoup de portes par la suite.

Ça représentait quoi pour vous le rock alternatif ?

Jay Xoff : À l’époque pas grand-chose… Une famille. Ça a très vite représenté pour nous une famille. Nous on était dans la famille Gougnaf, avec OTH, les Thugs, Parabellum, les Rats, une super belle affiche. Ensuite il y avait les groupes Boucherie, et la famille Bondage. Par la suite, on a beaucoup tourné avec Parabellum, c’était un peu nos grands frères… On était vraiment admiratifs du métier qu’ils avaient, de la maîtrise de la scène… Et comme frères jumeaux on avait les Shériffs… On a réalisé ensemble le “Nervous mayonnaise tour”, on avait une chanson qui s’appelait “Nervous man”, eux une chanson “Mayonnaise à gogo”, et on a monté une tournée ensemble. Ça devait être en 89. On a fait vingt concerts. Gougnaf a commencé à avoir beaucoup de dettes. Rico le manager nous a dit  : “Basta, on va arrêter, je vous conseille d’aller voir un autre label”. Par le biais d’Alain, on a signé chez Boucherie Production. L’album War, on l’a enregistré en janvier 90, et il est sorti en mars, chez Boucherie. On avait enregistré à Paris, dans le studio où la Mano Negra avait enregistré son premier album un mois avant.

Votre public n’était pas exclusivement psycho, ou rock’a’billy ?

Jay Xoff : Au début, sur nos premiers concerts, on avait un public vraiment psycho ou rockab’. Notre public a évolué avec ce qu’on a fait. Quand on est passé du rock’a’billy au psycho, les rockab’ n’ont pas suivi, en nous disant  : “vous n’êtes pas des puristes, c’est nul”… Et quand on s’est mis à faire des trucs trash, on nous a dit  : “ah non, là c’est trop destroy, c’était mieux avant”… C’était un public rock alternatif, vachement étudiant, ce n’était pas que des punks. À l’époque, tous les étudiants avaient un blouson de cuir et une petite banane, c’était la mode  ! Il y avait quand même quelques rock’a’billy qui venaient s’éclater ! Et heureusement  ! Une grande partie de notre public était vraiment branchée sur nous à fond, et écoute les disques encore dix ans après. On avait monté un fan club, avec un fanzine, on avait 700 adresses de gens entre 17 et 27 ans.

Vous avez énormément tourné ?

Jay Xoff : On a tourné pendant dix ou douze ans, et je pense qu’on a fait plus de 1.000 concerts. À la fin des années 80, on faisait plus de 100 concerts par an. La tournée “Rock en France”, notre première vraie tournée, avec Pigalle et les Tambours du Bronx nous a aidés à nous faire connaître.

Vous avez fait beaucoup de dates à l’étranger ?

Jay Xoff : Oui, on a joué en Australie, ça a été une super aventure. Ça s’est fait un peu par hasard… On jouait en Suisse, en janvier, et le 26 janvier est la date anniversaire de l’indépendance de l’Australie. On s’est fait brancher par des Australiens, qui nous ont dit  : “vous cartonneriez est là-bas”. On leur a laissé quelques disques, des press books mais on n’y croyait pas vraiment. Et un jour, on reçoit un coup de fil de Melbourne, qui nous dit qu’un tourneur est intéressé, éventuellement un distributeur… Et du jour au lendemain, on nous a dit c’est bon, il y a des dates, il faut y aller. On n’avait prévenu personne, même nous on n’y croyait pas, et l’on ne voulait pas passer pour des vantards et finalement ne pas partir. On a eu les visas trois jours avant le départ, et on est parti comme des sauvages là-bas. On y est retourné deux fois. Pour l’anecdote, on était chez Island qui distribuait aussi Bob Marley, et l’on a été première vente pendant une semaine en Australie. Ce qui veut dire que cette semaine-là, on a vendu plus de disques que Bob Marley  !

Alain  : On avait tenté l’Allemagne… Quand on a vu comment la scène psycho craignait là-bas, on s’est dit  : “Non…. Ou alors, dans des squats super clairs…” C’était rempli de gros monstres qui ressemblaient à des skinheads sauf qu’ils avaient trois poils devant, des gros fafs super violents…

Jay Xoff :  On est aussi parti au Canada. Toute l’aventure américaine s’est faite grâce à Boucherie Production. Ils avaient des connexions là-bas et on est parti avec le staff Boucherie. On y est allé une première fois, où on avait joué uniquement à Montréal aux “Foufounes Électriques” et New-York. La deuxième fois, c’était une tournée plus importante, “Boucherie goes to Hollywood”, on était avec Road Runners et Pigalle. Pendant 15 jours, on a fait Montréal, Toronto, New York, Los Angeles, et Austin au texas. C’était vraiment bien. Comme on avait déjà joué à New-York six mois avant, on avait des articles dans la presse. Dans les interviews en France, je disais  : “sur la dernière année, on a joué plus souvent à New-York qu’à Angers par exemple”. Ça faisait grosse frime… Rires… L’aventure américaine, c’est un super souvenir au niveau humain… Aller à Los Angeles, voir des concerts dans une boîte de nuit à Malibu, c’est drôle, c’est des vrais souvenirs…Je n’y suis jamais retourné depuis… C’est vraiment la musique qui nous a fait voyager. C’est là que l’aventure est extraordinaire. Je me souviens qu’au tout début, la première fois quand on est sorti du département pour jouer, c’était à 40 kilomètres d’Angers, vers la Vendée. J’avais acheté du champagne, et on a cassé du verre blanc, en se disant  : “un jour j’espère qu’on ira plus loin…” Et avec ce petit groupe, en commençant à enregistrer dans notre cave on a quand même vendu des disques au Japon, été en Australie, en Lituanie, fait quelques dates aux États-Unis, tout ça à partir de trois chansons avec une guitare fausse… C’est une belle aventure, partir de rien pour faire ça, moi je trouve ça super !

Parlez-nous de vos chansons :

Indians  : J.C.  : Pour moi “indians on the road”, c’était une espèce de rêve avec de grands décors. Les indiens qui sont sur la route, mais qui ne chanteront plus, parce que l’aigle est mort… Et en fait quand on est parti au Canada, Thierry avait un Tee-shirt “indians on the road”. À l’époque les indiens au Canada, faisaient des manifestations pour leurs droits, et ils bloquaient notamment les routes avec des pneus enflammés… Et dans l’avion on s’est fait brancher par un Canadien, parce pour lui c’était un tee-shirt provo de soutien à la lutte des indiens !

Alain  : Thierry le batteur s’est fait agresser verbalement. La réponse a été rapide, même si le Tee shirt n’avait aucun rapport  : va te faire enculer, on les soutient… Un grand moment… Rires… Pour “indians 3”, une reprise des Happy que je trouvais super on avait un peu modifié les paroles pour les rendre plus offensives !

“La isla bonita”  : J.C.  : C’est la chanson qui nous à fait décoller. C’est la chanson de la rencontre avec Alain, puisque c’est lui qui nous a proposé de la faire. On avait bossé un autre morceau dans le même style, qui n’est jamais sorti. C’était un truc de Kylie Minogue, qu’on avait bossé pour retourner en Australie !

Alain  : C’est un super morceau de base !!! rires… C’était rigolo, non ?, de reprendre un morceau comme ça ?

“I shot da sheriff”  : Alain  : Une fois que tu as commencé à délirer avec “la isla bonita”, tu te dis c’est rigolo, ça fait chier les puristes… En plus les Happy étaient dans le délire indien, ça collait. En plus un truc de Bob marley, du reggae, ca faisait  : nique les rebels, les Teddy boys et les sudistes racistes !!

“Lame de fond”  : J.C.  : C’est le fantasme du mec qui coule. J’ai toujours vécu au bord de l’eau, et c’est une histoire sur cette angoisse…

“Crazy life”  : J.C.  : C’est tout ce qu’on a dans la tête de bien speed. On ne se droguait pas, on ne buvait pas beaucoup, et tout ce qu’on avait à expulser, de haine, de mal-vivre, on le faisait par la musique. On sortait de scène comme si on sortait d’un footing ou d’un match de boxe… Ca a peut-être été notre équilibre mental. Peut être que si on n’avait pas fait de musique, on serait devenu fous, ou délinquants…