Parabellum, ce n’est pas ton premier forfait musical  ?

Schultz  : En 77, je me prends les 45 tours des Sex Pistols, des Ramones, des Saints dans la gueule. À cette époque, je suis en Lorraine, à Thionville, et on décide de monter un groupe. Ce sera les célèbres G.T.I.’s ; parce qu’en sortant de boîte on tombe sur une golf G.T.I.

Ce qui était la classe à l’époque  !

Schultz  : La grande classe internationale  ! À Thionville à l’époque, c’est dead zone et un de mes frangins, qui travaille à Paris, me dit  : “si tu veux faire du rock, vient à Paris, je peux t’héberger tu pourras toujours faire de l’intérim”. Je répétais dans un squat, et au bout de quelques mois, il y a Bébé Rock et Coco, le guitariste et le batteur des “Porte-Mentaux” qui sont passés. Ils ont écouté un peu ce que je faisais et ils m’ont dit  : “on cherche un guitariste”, et ça a fait l’affaire. Ce qui est assez rigolo à l’époque, c’est que j’ai remplacé Sven à la guitare. Il a dû faire six mois, et moi j’ai joué une bonne année avec eux. Au bout d’un an, je suis parti, Bébé insistait lourdement avec son “Elsa Fraulein”, et ça ne me plaisait pas du tout, alors je suis parti.

Géant-Vert  : Parabellum ça vient d’un tee-shirt que je portais. Je faisais mes fringues à l’époque. “Si vis pacem parabellum”… C’est la devise des pays possédant l’arme de dissuasion nucléaire, qui reprenait celle des romains qui considéraient que plus on repoussait les frontières de l’empire, plus la cité était en sécurité. Et c’est devenu  : “plus vous êtes assis sur des mégatonnes de bombes thermonucléaires, plus vous êtes en sécurité”, parce que personne n’osera allumer le pétard. J’avais trouvé ça tellement cynique que j’ai commencé par en faire un tee-shirt, c’est devenu un groupe.

Schultz  : On répétait dans le célèbre “Parking 2000”, un parking dont tous les boxs du troisième sous-sol avaient été aménagés en locaux de répète. Il y a le bassiste Roland qui m’a suivi, on a loué le box de répétition d’à côté. Géant-Vert traînait déjà dans le coin. Il nous a rejoints et a écrit des textes.

Géant-Vert  : Je ne suis pas le parolier de Parabellum. Je n’ai jamais été au service de qui que ce soit. J’ai créé ce groupe, j’ai réuni les musiciens pour jouer ma musique. Par ma musique, je veux dire le choix du style musical, pas la composition des chansons de Parabellum qui sont, en fait, réalisées de façon collective. J’ai écrit quelques musiques comme RIP ou Osmose 99, Roland a fait La Bombe et Moi et Welcome to Paradise, beaucoup des chansons des débuts ont pour base une démo des GTI’s, le groupe de Schultz en Lorraine. Papa est un plagiat de Living On Dreams des Vice Squad, la base d’Amsterdam est la version de Chris Bailey, etc. Plus simplement, je veux dire qu’il n’aurait pas été question de jouer quoi que ce soit en blues, reggae, ou rockabilly. Il n’y a pas eu de clash sur ce choix, car tous les intervenants étaient partants pour faire du Parabellum. L’écriture c’est la liberté, c’est pour ça que j’ai toujours dit : “je ne suis pas parolier, j’écris des textes”. Un parolier c’est un mec qui n’en a rien à foutre…

Schultz  : On a démarré avec une boîte à rythmes, et rapidement Cambouis est arrivé à la batterie.

Géant-Vert  : Le premier concert s’est passé avec les Wampas, à Gentilly, le 17 juin 1984, moi j’ai eu le doigt arraché, on n’a pas pu jouer un morceau, ça a été baston sur baston…

Schultz  : On a fait notre premier 45 tours à trois, “On est gouverné par des imbéciles”. Roland, Cambouis et moi.

Géant-Vert  : Ça a très bien marché jusqu’à ce qu’on enregistre “On est gouverné par des imbéciles”, parce que c’était uniquement des démos, mal enregistrées, au fond de la Lorraine, on ne voulait pas que ce soit sur disque. On avait envoyé une cassette à Gougnaf, avec une fausse pochette de Vuillemin. Ils nous ont contacté en disant que c’était génial, qu’ils voulaient sortir un disque. On a vraiment pris ça comme un gag, et on a sorti le E.P. Il a attiré l’attention et plein de gens ont voulu commencer à fédérer ce qui n’était pas fédérable…

Schultz  : Ensuite on a pris un deuxième guitariste qui s’appelait Kemar. Malheureusement il s’est pété la clavicule quelques mois avant qu’on enregistre notre premier album. Pour le remplacer, Cambouis m’a dit : je connais quelqu’un, et c’était Sven ! C’est très dommage pour Kemar, c’était un peu comme si tu sors avec une copine et au bout de six mois, tu tombes sur une autre et tu lui dis : “je suis désolé ma chérie…”. Je ne suis pas très fier de ça, mais ça fait juste 20 ans que je joue avec Sven… Rires… Il y avait peut-être quelque chose là-dessous  !! Du coup il est arrivé trois semaines avant d’enregistrer l’album.

Dès votre premier 45 tours, vous travaillez avec Gougnaf ? Schultz  : Le premier 45 tours est sorti chez Gougnaf, et le premier album en coproduction Gougnaf-Bondage. Ça s’est fait très naturellement. Ensuite chez eux on a fait le maxi 45 tours “4 garcons dans le brouillard”.

Comment s’est fait le choix ?

Schultz  : Naturellement. C’est Gougnaf qui est venu nous trouver pour nous dire  : “on veut le faire”. Ce qui nous a un peu démarqué du courant alternatif, Bérus et compagnie, c’est que bien sûr qu’on ne se gêne pas pour cartonner ce que tu lis dans le journal tous les jours, les politiques, la structure de la société etc., mais on a toujours vu ça dans le côté fun. Je connais bien Loran des Bérus et lui est véritablement engagé, il a un truc politique profond. Nous on l’avait aussi, mais avec un côté plus fun. Je crois que le plus beau compliment qu’on m’ait fait c’est qu’on était les plus punks des rockers, et les plus rockers des punks.

C’est quoi être punk pour toi ?

Schultz  : Ah, je n’en sais rien du tout, un baba schizophrène ?

Votre premier album est enregistré en 86 à Montpellier ?

Schultz  : Oui, pour des raisons de thunes et de connexions. C’est toujours le même truc  : qui a moins cher autour de la table ? les textes étaient de Géant-Vert.

Géant-Vert  : Je pars du principe que pour faire une bonne chanson, il faut mettre la musique sur le texte. Si la musique est déjà enregistrée, avec un rythme, comment veux-tu laisser aller ton imagination ?

C’est Christophe Sourice qui produit cet album ?

Schultz  : Oui, c’était le batteur des Thugs, qui étaient aussi chez Gougnaf. Là non plus, ce n’était pas un truc savant, calculé, genre on va viser là, entre les deux yeux… Au passage, les Thugs font partie des trois guitaristes que je connais qui sont capables de faire sonner des amplis Peavey à transistors, qui pour moi sont des trucs injouables. Et ces salauds savent le faire  !… Rires… Cambouis est parti après cet album.

Vous tourniez dans le réseau du rock alternatif ?

Schultz  : Oui, complètement. On était là-dedans, chacun avec sa spécificité. Ce que je trouvais génial dans le rock alternatif c’est que tu pouvais avoir les Thugs, O.T.H., Los Carayos et les Endimanchés, des styles complètement différents… Ça, j’ai beaucoup aimé. J’aime beaucoup ce mélange coloré. Ça ne touchait pas que les punks, il y a eu aussi beaucoup de gens curieux qui ont pris une claque, qui ont adhéré… L’alternatif a intrigué pas mal de gens… Après Mitterrand, les gens se sont un peu plus lâchés… On jouait un peu n’importe où… On dormait surtout un peu n’importe où…

Tu as une définition de l’alternatif ?

Schultz  : Non monsieur, j’ai le nez dans le guidon, je suis en train de pédaler… Rires… Je me souviens d’un concert à Bourges avec les Bérus. On était assis avec Loran Béru en train de discuter, lui toujours très alternatif… Et je lui disais  : “l’alternatif, ce qu’on fait en ce moment, c’est génial. Parce qu’on est dans un tunnel, il y a un gros wagon il faut le pousser. Comme on n’est pas cons on ne s’est pas coupé en deux avec une moitié qui pousse d’un côté et l’autre de l’autre. Jusque-là on pousse tous dans le même sens, c’est ce qu’on vit, c’est génial. Mais une fois qu’on va sortir du tunnel, combien il y en a qui vont continuer à pousser le wagon ?” Et ça n’a pas loupé…

Géant-Vert  : Je suis parti de Parabellum après (en fait la veille, même si j’étais là…) le Printemps de Bourges 87. Ça manquait de fun… On me demandait de pisser des textes… C’était devenu un travail. Si j’avais eu envie de bosser, je n’aurais pas fait ce boulot-là. Certains voulaient tout professionnaliser. Et ce qui m’intéressait, c’était la prise de risque. En 87, il n’y avait plus aucune prise de risque. Je suis revenu avec Parabellum en 90 et sur le live “In Vivo Veritas”, quand on entend Roland qui dit  : “on se calme devant  !”, c’est parce que je suis en train de me battre avec un mec dans le public. À l’époque, j’avais un peu trop tendance à penser pour tout le monde. À aucun moment, je n’imaginais qu’une personne puisse me dire : “mais je n’ai pas envie de le faire, je n’ai pas envie de chanter ce texte, je ne veux pas de cette pochette…” Il y avait plein de gens qui me disaient  : “tu comprends, tu prends trop de place…” Je prends biologiquement de la place…, je suis un géant…

En 1987, vous enregistrez le maxi “Quatre garçons dans le brouillard” ?

Schultz  : C’est con à dire, mais j’aime beaucoup ce machin.

On y trouve l’hymne “Osmose 99” ?

Schultz  : Qui est toujours d’actualité… J’allais dire c’est regrettable, mais en fait c’est mon fonds de commerce  !… Rires…

La pochette est de Vuillemin ?

Schultz  : C’est par Géant-Vert qu’on l’a eue. La pochette du 33 était de Michel Pirus…

En 88, vous sortez le 45 tours “Anarchie en Chiraquie” ?

Schultz  : Ça c’est du grand Parabellum… Je pense qu’avec Gougnaf on s’était bien trouvés pour ça… On avait écrit ça pour le huit mai 88. Évidemment, on voulait le sortir au mois de mars. Et on a reçu le disque le sept mai au soir, alors qu’on jouait à la Cité… Bref, comme d’habitude, le grand bordel, le grand n’importe quoi. À l’époque, Chirac était encore maire de Paris. On ne s’en souvient plus beaucoup, mais c’était déjà un grand merdier. Il était encore premier ministre depuis 1986. C’est Sven qui a écrit ce texte. Ça pousse tout seul ce genre de trucs-là. Encore une fois, il suffit d’ouvrir le journal pour faire 40 chansons de Parabellum. C’est ça Parabellum. Sans brandir un grand drapeau, qu’il soit noir ou rouge, essayer de faire prendre conscience aux gens, donner une petite claque sur la tête pour dire  : “tu as vu où tu habites là ?”

Géant-Vert  : On était d’authentiques branleurs incontrôlables, qui n’en avaient rien à foutre de rien. C’est ça que les gens aimaient bien. On n’a jamais voulu faire carrière. Rock et politique, ça m’a toujours gonflé, c’est le problème de la France, de vouloir toujours tout intellectualiser.

En même temps, dans les textes que tu écris pour Parabellum, il y a des textes politiques ?

Géant-Vert  : Non, c’était un point de vue, une façon de voir les choses. On peut écrire la bande-son de la révolution, mais ce n’est pas nous qui allons la faire. Si on devait attendre qu’on se réveille le matin pour aller prendre la Bastille, il n’y aurait jamais de 14 juillet  ! J’ai déjà du mal à m’occuper de moi, comment pourrais-je m’occuper des autres  ? Mais on peut donner des avis… Le texte que je préfère le plus à l’époque sur le plan politique, si on peut dire qu’il est politique, c’est “Joyeux Noël”. Pour moi il était évident, que 20 ans plus tard les Restos du coeur existeraient toujours, et que ce serait devenu une véritable industrie. On n’a jamais essayé d’éradiquer le problème de la pauvreté. Les pauvres sont nécessaires au système…

Schultz  : En 89, les Bérus font leur Olympia, et ensuite ils nous vendent leur camion Bertaga pour une bouchée de pain. Eux, pour le coup, sont partis avec drapeaux et trompettes. Ça a correspondu avec le moment où la Mano Negra a décollé. C’était la sortie du tunnel…

Géant-Vert  : Parabellum, c’est une histoire de mecs, qui s’entendent très bien quand il s’agit de faire tout, sauf de la musique. Mais sinon, à part ça, si c’était à recommencer, on referait exactement les mêmes conneries, sans aucun problème  ! Parabellum, c’est très peu de mauvais moments. On s’est beaucoup amusé, beaucoup amusé.

EXPLICATION DE TEXTES PAR GEANT VERT :

Bienvenue au paradis  : C’est une bonne chanson, c’est mon premier règlement de comptes avec la religion. Maman m’a dit : j’ai écouté le disque, mais je n’ai pas bien compris de quoi ça parlait, ce ne sont pas des sujets que je comprends bien. Alors je lui dis attends, il y a le 45 tours avec un texte sur la religion, je vais te l’envoyer. La réponse a été, après lecture du texte : Imbécile !… Rires… Le cri du cœur !… Le premier disque de Parabellum, avait représenté pour elle moins d’inquiétude… Au moins, il fait quelque chose de positif… Elle était très fière…

Berceau Néo Caveau  : Ça, c’est ce que je pense de l’école en général. J’ai écrit ça pour une punkette qui avait besoin d’aide, parce que je me suis aperçu qu’à 13 ans elle savait à peine lire et écrire.

Osmose 99  : C’est une vision un peu pessimiste du futur. Il y avait définition d’Osmose 99 sur le disque… C’est un jeu de mots bidon sur une série de science-fiction qui s’appelait Cosmos 99, et une publicité pour un fromage industriel qui s’appelait Samos 99. Donc j’avais mixé le tout en Osmose 99  : “pour un futur technologique de merde, qui nous promet d’être un sacré fromage”.

La bombe et moa  : C’est une vanne sur une chanson d’Eddy Cochran, qu’il avait écrit pour le film “La blonde et moi”, “Girls can help it”. C’est une chanson facile, énergique… Le texte est simple, la musique est simple, c’est vraiment une keuponnerie de base. Le texte est d’une facilité… C’est fun, c’est tellement exagéré. Ce n’est pas un grand moment de militantisme anti-ricain…

Papa  : C’est une chanson sur mon grand-père paternel. Il était rentré alcoolique de la guerre de 14. Il ne parlait pas français, il parlait le patois breton et quand il y avait de l’orage, il sortait, il était habillé en charretier, avec son fouet, et quand le tonnerre grondait il fouettait le ciel. Il revivait Verdun. Il me terrorisait, j’avais peur de lui. Il ne disait rien, il marmonnait. “ Dis papa   comment tu faisais pour monter à l’assaut, quand les balles sifflaient, tirées par les feldgraus, parce que moi quand il pleut je ne veux pas sortir, tous ces gros nuages bleus, je préfère rester dormir”. C’est ça, je ne voulais pas qu’il sorte, je ne comprenais pas ce qu’il faisait, je ne savais pas ce que c’était Verdun. Ce que je voyais, c’était mon grand-père qui était mal.

Cayenne  : C’est une chanson que j’avais empruntéee, mais le texte est incomplet. Notamment pour le passage “jeunesse d’aujourd’hui, ne faites plus le con, car pour une sale connerie on te fout en prison”. J’ai eu de mauvaises périodes, et en 1983 je suis beaucoup passé au tribunal. C’est aussi une des raisons qui a fait que je n’ai pas chanté avec Parabellum, même si j’ai fait quelques répètes au début. J’avais eu des condamnations successives pour le même motif, avec à la clé, de la prison avec sursis. Et mon entourage, ma famille ne souhaitaient pas que j’attire l’attention… Il manque donc le dernier couplet à cette chanson qui fait  : “Sur ma tombe on lira cette glorieuse phrase, écrite par des truands d’une très haute classe, honneur à la putain qui m’a donné sa main, si je n’étais pas mort, je te baiserais encore”.