Quand situer la genèse des Olivensteins  ?

Gilles Tandy : Les Olivensteins, c’est l’aboutissement de tout ce que j’ai vécu, du concert de Doctor Feelgood en juin 1975 (mon premier concert) à l’essoufflement du punk en avril 1978. Avant 75, j’écoutais déjà du rock, le problème c’est que j’aimais des groupes morts, ou fossilisés… Les Stones en 74-75 ça n’était pas leur meilleure époque, les Kinks non plus… Les Stooges n’existaient plus, les New-York Dolls quasiment plus… Et à partir de 1975, il y a eu cette explosion… Quand je vois Feelgood à l’Olympia avec Little Bob en première partie, je me dis : ça y est, je vais enfin vivre quelque chose qui colle à ma génération et à mes envies  !. Tout va s’enchaîner assez vite, il va y avoir le Christmas au Havre en décembre 1975, Mont-de-Marsan 1976, le premier festival, avec les Damned, la grosse claque, les Gorilla’s, Eddy and the Hot Rods… La musique va progresser très rapidement (le tempo aussi). Les groupes que j’écoutais en octobre 76 passaient pour des ringards en juin 77. J’étais en province, dans le sud, et dans chaque ville tu avais un petit noyau de mecs comme moi, à l’écoute de tous ces nouveaux groupes qui débarquaient de Grande-Bretagne, ou à la recherche d’obscures rondelles parvenues de je ne sais quel coin du Massachusetts ou de l’Ohio. Je pense qu’au premier festival de Mont-de-Marsan, il y avait plus de provinciaux que de parisiens. On était plus à l’affût de ce qui bougeait à l’extérieur. Mon frère travaillait à Rouen au magasin de disques “Mélodies Massacre”, j’avais des copains à Sète, à Montpellier, on était au courant de tout ce qui se passait.

Comment se tenir au courant de la scène en province en 1976 ?

Gilles Tandy : Le New Musical Express [NME, hebdomadaire musical britannique, depuis 1952], bien que je ne lise qu’à peine l’anglais à l’époque… C’est marrant, il y a peu de temps j’ai relu “England’s Dreaming” de John Savage, et il parle d’anecdotes, qui nous parvenaient en quatre ou cinq jours à l’autre bout de la France, on arrivait à être au courant de tout. C’était comme si on avait vécu à Londres (bien entendu je n’y ai mis les pieds que bien plus tard)… Expliquer pourquoi, comment, je ne sais pas… Le NME, le bouche-à-oreille ??…

Vous vous définissiez punk à l’époque ?

Gilles Tandy : Oui, oui, dès le début. On va se couper les cheveux, porter des badges… Mais ce n’était pas le grand guignol, j’étais au lycée, je prenais plaisir à mettre une cravate sur un tee-shirt, ce qui plaisait beaucoup aux profs… Je suis retourné à Rouen fin 77. Là, il y avait une émulation liée à l’activité de “Mélodies Massacre”, plein de disques sortaient sur des labels indépendants, tous ces jeunes groupes jouaient vite et simple avec une énergie pas possible… C’était vraiment excitant. Ça n’existait pas en France… J’étais déjà assez copain avec les Dogs qui sortaient leur premier 45 tours. Je n’ai pas de définition du punk… C’est un truc qu’on a vécu… Le côté attitude m’exaspérait déjà… Ma passion était davantage liée à la musique qui déferlait à ce moment-là. Le punk parisien vu de ma province, que ce soit à Rouen ou à Sète, je trouvais ça ridicule, grotesque même. J’ai rencontré la plupart des acteurs de la scène parisienne bien après, je me suis bien entendu avec certains d’entre eux, mais pour nous, à l’époque ce n’était qu’une bande de poseurs… Je pense que ça n’a pas beaucoup changé aujourd’hui… On va former les Olivensteins vraiment par hasard. Éric écrivait des textes derrière le comptoir du magasin. Il ne se doutait pas que ça allait devenir des chansons. Moi j’aimais bien chanter. Avec Vincent, qui officiait comme guitariste de “Section Spéciale”, on a décidé de faire un groupe un peu sur un coup de tête. Mimi, le batteur des Dogs partait à l’armée. Dominique nous a laissé un local de répétition à disposition. On a démarré avec un texte, “Patrick Henri est innocent”. C’est parti comme ça, un dimanche d’avril 78. On avait recruté des gens à droite à gauche. En plus de Vincent, qui pour l’occasion, tiendra la batterie, le guitariste lors de cette répète était le chanteur de “Section Spéciale”, le bassiste n’avait jamais joué de basse, moi je n’avais jamais vraiment chanté dans un micro… Il y avait aussi Dominique des Dogs au saxo, et Hugues jouait de la guitare. C’est devenu sérieux assez rapidement. 15 jours après, on peaufinait déjà la première formation des Olivensteins. Au départ c’est un gag, mais très vite, Vincent a pris la guitare, composé des morceaux, Éric a pondu des textes à tire-larigot… On a trouvé un bassiste, un batteur… En juin 78, un des membres du groupe avait trouvé un truc, dans une fête de psys qui commémoraient les dix ans de Mai 68, sur les hauteurs de Rouen. (On ignorait bien sûr que 39 ans plus tard, un tel évènement serait purement et simplement prohibé, par un pouvoir revenu d’un autre âge, pour qui la perception de “Pétain Darlan c’était le bon temps” ne serait malheureusement pas du second degré). Là, on a débarqué, on a vraiment foutu la zone… On est allé très loin. Chanter “Patrick Henri est innocent”, avec le doigt pointé sur le ventre d’une femme enceinte… C’est vrai que ce n’était pas très malin, mais il fallait aller dans la provoc, on était là pour ça… Rires… Notre première prestation…

D’où le nom ?

Gilles Tandy : Non, le nom on l’avait déjà. On avait le nom avant le groupe. Éric avait croisé Olivenstein dans un concert de Johnny Thunder au Gibus. Le nom du groupe est né d’un retour Paris-Rouen, par le premier train, de 5h30… Ensuite répétitions, les premiers vrais concerts à partir de l’automne 1978. On a fait un concert au Gibus, on a joué devant cinq ou six personnes, et on s’est retrouvé avec le matos sur le trottoir… Comme beaucoup de gens au Gibus à l’époque… Fallait pas aller demander le cachet… Rires… On a fait pas mal de premières parties des Dogs, et on a joué au “Rose Bonbon” en novembre 1978. Il y avait un concert en matinée, un en soirée, 150 personnes en matinée, et à minuit un peu plus, mais si on compte le nombre de gens qui disent nous avoir vus ces deux soirs-là, on remplit Bercy. Juste après ces concerts, il y a l’article de Garnier dans Rock & Folk. Ça fait parler mais ça ne fait pas décoller grand-chose… En 1978, pour trouver des concerts… C’est encore la préhistoire…

Quel était l’état de la scène ?

Gilles Tandy : Nous on a joué à Rouen, en banlieue du Havre (en première partie des Damned), au Havre une fois, mais, étant Rouennais et chantant en français, on y était plus ou moins triquards, sinon, Caen et Paris. On n’a jamais joué ailleurs. La scène était quasiment inexistante. Et il fallait voir les organisations… Les sonorisateurs étaient la plupart d’anciens balloches qui ne comprenaient rien à ce qu’on faisait, les sons étaient dégueulasses, les scènes n’étaient pas vraiment des scènes, il y avait des trucs horribles…

Vous chantiez en Français, ce qui n’est pas très “tendance” ?

Gilles Tandy : Oui, mais il y avait quelque chose à faire. La plupart des groupes punks chantaient en français à l’époque. Asphalt Jungle, je ne sais pas s’ils chantaient en français ou en anglais puisqu’on ne comprend absolument rien… Mais il y avait cette envie de chanter en français… On ne pensait pas encore à la carrière américaine… Rires… On avait des paroles plutôt sociales. Ça pouvait être de la dérision, mais elles étaient basées soit sur la vie de tous les jours, soit… Il pouvait y avoir l’histoire, avec “Pétain Darlan, c’était le bon temps”… Il faut voir aussi le contexte. En 1978, on se fait traiter de petits cons par toute une génération de vieux schnocks et la réponse c’était  : “hé ho, il n’y a pas que nous qui avons fait des conneries  !” C’était très con, mais il y avait évidemment énormément de degrés derrière… Tout le monde ne va pas comprendre. Là, on aura des problèmes, on a failli se faire casser la gueule… Mais on n’était pas dépassés. Le tout étant fait au dixième degré, on prenait ça au dixième degré. On parlait de beaucoup de choses. Ça allait d’une ode à John Wayne, qui était un morceau sur le côté affligeant des westerns spaghetti, à “Fier de ne rien faire”, où là, il y avait un message, qui est toujours d’actualité…

Vous allez enregistrer votre premier disque très rapidement ?

Gilles Tandy : Oui, en mars 1979. Au départ, on voulait tout faire dans la cave, mais Lionel Herrmani de Mélodies Massacre, le producteur des Dogs nous a poussé à faire ça bien, il savait qu’il y avait un potentiel énorme. Donc les trois titres ont été enregistrés et mixés en huit heures. Le disque est sorti un mois après, le premier tirage a été épuisé en trois semaines…

Tout marchait avec le bouche-à-oreille. Mais ça va surtout fonctionner après la séparation du groupe. C’est dommage… Après, Blanc-Francart va le passer tout l’été sur France Inter, Manœuvre fera un truc dithyrambique dans Rock & Folk, mais c’est toujours dur de trouver des concerts… On n’a pas de tourneur, on marche à la démerde, on n’a pas de fric non plus. Ça va être un obstacle parce que tout le monde est obligé d’aller bosser… Le disque est assez vite épuisé, et on cherche une distribution pour le ressortir au format maxi 45 tours. 90% des boîtes de disques cherchent le nouveau Téléphone. Comme toujours en France, Téléphone marche bien, donc il faut faire du Téléphone, ils ne comprendront rien, une fois de plus, à ce qu’il se passe. Barclay est intéressé, et, au moment de signer, ils nous disent  : ”il faudrait peut-être voir avec le médecin, à cause du nom, on risque un procès, bla-bla-bla, bla-bla-bla…” Donc voilà, c’était fini… Rires… Il va y avoir toute une série de trucs négatifs qui vont faire que le groupe ne va pas durer… L’arrivée des R.G. au concert, c’est un truc qui va vraiment nous faire chier. On n’a pas fait ça pour ça… L’arrivée des keupons à crête et à la Valstar, au premier rang on n’a pas fait ça pour ça non plus… En 1979, on écoutait les Fall, les Mekons, les Swell Maps… Très vite, on a commencé à déchanter. On devait faire la première partie de Stiff Little Fingers au Palace, et le docteur Olivenstein passe un truc dans France-Soir, comme quoi il est hors de question qu’un groupe se présente au Palace sous son nom. Donc le concert est annulé, alors que ça aurait été un tremplin pour nous. Il y a comme ça, tout un enchaînement de désillusions, qui fait que le groupe ne tient pas. On donne un dernier concert en janvier 1980. Après le groupe se sépare.

Vous n’avez eu qu’une seule sortie discographique ?

Gilles Tandy : Voilà. Par la suite, la rondelle va coter dans toutes les bourses de disques, ça m’a toujours fait un peu mal au coeur. En 1984, il me restait une caisse de singles, et je les ai vendus à 20 balles dédicacés, à des mômes, alors que les mecs en face le vendaient déjà à 500 balles. On avait de quoi faire un album. Finalement, c’est peut-être très bien comme ça aussi… Rires… Le punk, c’était, de toute façon, quelque chose de totalement éphémère.

Fier de ne rien faire  :

Ce morceau, c’est Dominique qui l’a composé pour moi, et, bien sûr, les paroles sont d’Éric. Il avait composé la musique, avec les arpèges du début. Dans la mesure où je n’écrivais pas les chansons, il fallait toujours se démerder à faire combiner les deux (paroles et musique), voire les trois, puisque j’avais mon mot à dire quand même, et je devais apprendre à poser ma voix. C’est un des tous premiers morceaux… Euthanasie, on ne devait pas le faire. Au départ, la chanson avait deux couplets de plus, et on la jouait moins vite, vraiment lourdement, elle durait cinq minutes. On trouvait ça chiant. Le jour de l’enregistrement, on avait un peu de temps, et on s’est dit  : “on va essayer de la faire quand même en enlevant deux couplets.” Négatif, c’était ce qu’on avait choisi pour faire la face B. On avait déjà prévu de faire un 45 tours derrière, avec un morceau qui s’appelait “je hais les fils de riches”, qui n’a jamais été enregistré.

La suite de “Négatif” ?

Oui, elle n’était pas tout à fait finie, on voulait se la garder pour le 45 tours suivant. On trouvait que le message était fort. Sur Rouen qui était une ville relativement bourgeoise, la plupart des parties se passaient dans des espèces de baraques sur les hauteurs de la ville, donc “je hais les fils de riches, qu’ils se cachent ou qu’ils s’en fichent”…