Les Carayos sont nés dans les Barrocks ?

Schultz  : À cette époque, en 85, je commence à traîner vers Sèvres où il y a un squat qui s’appelle “Issue de secours”. Là-dedans, il y a la bande à cons, Manu Chao et son frangin qui jouent dans un groupe qui s’appelle les Hot Pants, et qui font du Wock’n’woll  ! Moi j’adorais ça, et j’allais régulièrement faire des boeufs avec eux, des petits bouts de concert, deux trois morceaux à la fin… À cette époque-là, l’asso Paris Bar Rock se créait. Comme son nom l’indique le but de la manoeuvre, était de faire descendre la musique dans les rades, chose qui n’existait plus trop depuis le célèbre maréchal Pétain… Il reste encore un certain nombre de lois de la période vichyste, comme celles régissant le bruit après dix heures… que de Gaulle s’est empressé de ne surtout pas enlever à la fin de la guerre. On allait souvent dans un de ces bars, “Chez Jimmy” qui est situé près de “la Flèche d’or” qui à l’époque n’était qu’une gare de marchandises de la petite ceinture. Et un jour, un groupe n’a pas pu venir, et alors, qui est le premier monté sur scène, est-ce que c’est Manu, ou est-ce que c’est moi, mais on se retrouve tous les deux à jouer sur scène. Et on s’est dit  : tiens si on faisait un groupe ? Un truc vachement intellectuel, profond. Et c’est comme ça qu’ont commencé Los Carayos. Alain, on le connaissait des Wampas, et François n’est arrivé que bien plus tard, bien six mois voire un an après.

Alain  : À Paris, il n’y avait pas d’endroit pour jouer. Il y a un groupe de gens branchés rock’n’roll, dont Rascal et Ronan, qui se sont dit pourquoi ne pas aller dans les bars  ? Ils ont démarché dans le quartier bien populaire du XXème à Paris, et ils ont trouvé un premier bar, “Chez Jimmy”. Les bars se faisaient régulièrement interdire de concerts, dont ils étaient obligés de rebondir sur un autre bar. Plein de groupes y ont fait leurs premières armes. C’est notamment là-dedans que se sont formés les Carayos. Ça faisait longtemps que je voulais faire un truc country, enfin country au sens large, western swing, cajun, bluegrass…

Schultz  : Manu et moi, on adorait tout ce qui était rock‘n’roll et rythm’n’blues. Alain aussi. Manu aimait bien les “espagnolades”, j’aimais aussi vachement le swing. Antoine, lui, il aimait bien être avec la bande de cons… Rires… Quand François arrive, lui c’est les “cajuneries”. Donc on met tout ça dans le truc et chacun amène son petit grain là-dedans… Et on se marre bien… C’est un peu ce que je recherche en faisant de la musique  : me faire plaisir en faisant plaisir aux gens. Ça fait vraiment partie de mon cahier des charges.

Vous êtes un groupe acoustique ?

Schultz  : Pas vraiment… Enfin, il n’y avait que Manu qui avait une guitare électrique… Ah oui, finalement c’était acoustique maintenant que tu m’y fais penser… Rires… Vingt ans après : “merde, c’était un groupe acoustique…” Rires…

Alain  : On a commencé à faire des reprises, et puis rapidement les compos sont arrivés.

Schultz  : Pour composer, c’était rendez-vous au tas de sable… Chacun arrivait avec ses morceaux… Par exemple, pour le morceau Juanita y Paquita on était en Espagne et François nous dit  : “j’ai un morceau à vous montrer, Manu j’aimerais que tu mettes des paroles dessus, vu que je ne parle pas espagnol”. Et il nous chante le morceau, en plaçant comme paroles tous les trucs de bouffe qu’il connaissait en espagnol. Moi je ne comprenais rien, mais je trouvais que ça sonnait d’enfer, et Antoine et Manu se sont regardés et on dit  : “Ne touches à rien ça y est, tu l’as ton morceau !”… Rires…

Vous commencez par jouer dans les bars ?

Schultz  : Oui, comme Parabellum. Mais comme les Carayos sont arrivés un petit peu après, on a bénéficié de tous nos différents contacts. On a commencé par enregistrer un maxi 45-tours, un live enregistré au Cythéa. On a joué deux soirs, on enregistrait, et on mixait la nuit. Ensuite, on a beaucoup tourné  !

Alain  : On a fait ça avec les moyens du bord. On avait loué un petit magnéto, on enregistrait au Cythéa, et on allait mixer ça chez François, nous mêmes. D’où le son peut-être un peu… particulier  ! … Rires…

Pourquoi ce nom ?

Schultz  : Les carayes, c’est ce qu’on dit des Portugais. Mais c’est aussi ce qu’on dit des Galiciens, des galiegos, qui sont un petit peu vus comme les Bretons à une certaine époque, les mecs pas finis, ou finis à coups de pompes. Dans la famille “inventeur de la machine à cintrer les bananes” etc. Et donc du coup, carayes-Carayos… Là aussi, il n’y a pas une grande réflexion derrière. Beaucoup moins que pour Parabellum par exemple.

Comment arriviez-vous à gérer les différents groupes dans lesquels vous jouiez ?

Alain  : Il y avait donc Manu chao des Hot Pants, Tonio son frangin qui jouait de la trompette dans les Chihuahuas, Schultz des Parabellum, François Garçons bouchers et Pigalle, et moi… à l’époque Wampas, mais plus pour longtemps… Rires… Il y a eu une période où l’on avait tous deux groupes, c’était sympa, on partageait les mois en deux, 15 jours pour un groupe, 15 jours pour les Carayos…

Schultz  : Je crois que je n’ai dû faire faux bond aux Carayos qu’une seule fois. Il y a eu des moments où ça merdoyait logiquement, mais pas tant que l’affiche pourrait le laisser supposer… Mais si on devait jouer sans François ou sans Manu, ce n’était pas un problème. File-moi une guitare, je joue tout seul… Je préfère nettement, quand tu as composé des morceaux pour le bonhomme à la guitare à côté, qu’il soit là aussi pour les jouer sur scène. On faisait 15 jours Carayos, 15 jours Parabellum. Avec des récits épiques…

Comme ?

Schultz  : On revient d’un concert en Hongrie avec Parabellum. On jouait le soir même en Aveyron avec les Carayos. Je saute directement dans le camion et on est parti  ! Au bout d’une heure, tous les voyants sont dans le rouge on est obligé de rentrer sur Paris pour changer de camion. On appelait régulièrement le bonhomme pour lui dire  : “On va être à la bourre”. Et ça ne répondait pas. On continue, à l’époque il n’y avait pas d’autoroute après Clermont… Quand on arrive à la boîte, le gars nous dit  : “Le concert est annulé, j’ai fait venir un huissier pour qu’il constate que vous n’étiez pas là à l’heure de la répétition…” C’était son premier concert… Là, j’ai chopé le mec par le colbac, et je lui ai dit  : “Écoute coco, ça fait 36 heures que je suis dans un camion pour venir faire ton concert, alors ce soir, on joue”. Je crois que c’est une des rares fois où je me suis énervé un peu… On a réussi à rameuter un peu les troupes et après, évidemment, pendant le concert je n’en pouvais plus. Et là, sur scène, en train de jouer, le coup de pompe. Il y avait un poteau au milieu de la scène, je commençais à m’appuyer dessus… Et là, je vois mon petit Manu qui arrive, avec un grand sourire, juste avant mon solo. Un grand sourire et vlam, il me désaccorde la guitare… En fin de compte, il a eu carrément le résultat attendu, il m’a réveillé… Il ne pouvait pas faire autre chose, il ne pouvait pas me mettre des coups de pompes au cul, il est trop petit, il n’y arrive pas… Sur le coup, je lui en ai vraiment voulu, mais après, j’ai compris le geste, et finalement ce n’est pas si con ce qu’il a fait…

Notre premier maxi 45-tours est sorti chez “All or nothing”, et ensuite, le premier L.P. chez Boucherie productions. Ce qui était assez logique vu que c’était la maison de disques de François.

Vous avez enregistré avec le professeur Choron ?

Schultz  : Ça, c’était un grand moment de surréalisme. Je pense que la connexion s’est faite par François. À l’époque le professeur Choron tournait au champagne, aux caisses de champagne.

Alain  : C’était un gars que je n’appréciais pas vraiment à l’époque, je le trouvais un peu bidon. Et en fait, il était réellement à la masse, réellement taré, mais bien sympa. On a joué une fois ensemble, au local d’Hara-kiri, c’était rigolo.

Vous reprenez “Rawhide” sur la compilation “Concert à la Boucherie” ?

Schultz  : Une grande version. On l’a enregistré en live à Bourges chez Emmetrop.

Alain  : Un concert bien sympa chez nos potes d’Emmetrop. Je pense que celui-là aussi on l’a mixé à la maison… Je ne sais pas si c’est à cause de mon souvenir des séances de studio, mais quand j’écoute le dernier album, je le trouve un peu triste, bizarre… On savait qu’on arrivait à la fin des Carayos, Manu ne venait quasiment pas enregistrer, c’est dommage parce qu’il y a vraiment des morceaux que je trouve supers dessus. On va arrêter en 90, à peu près au moment où l’on enregistre le deuxième album. Manu nous annonce qu’il ne peut plus faire à la fois les Carayos et la Mano Negra, et qu’il arrête. Les Carayos sont morts le même jour… On s’est dit  : “est ce qu’on prend quelqu’un d’autre ?” On a réfléchi deux secondes : -”Non, les carayes, c’est nous cinq, et personne d’autre…”