Oberkampf est né sur Paris en 1979 ?
Joe Hell : Oberkampf au départ ça s’appelait “Oberkampf Contingent”. Ça a été créé en 1978, je n’y étais pas encore. C’étaient des mecs qui traînaient au Gibus qui ont fait ce groupe, je traînais là-bas moi aussi et j’ai dû voir deux de leurs concerts dans des petites salles de M.J.C. de banlieue. Je trouvais le groupe intéressant, mais le chanteur n’était pas au point. Il est parti et Pat est venu me voir au Gibus pour me proposer de chanter avec eux. Mon premier concert avec Oberkampf a été en avril 1979. Nous avons décidé d’enlever le “contingent” et on a rajouté la croix sur le O en référence aux Who. Le nom venait tout simplement de la station de métro pour aller au Bataclan. Pat Kébra : Et la croix, il a fallu la porter ! Joe Hell : Ensuite, tout s’est enchaîné, 79, petits concerts, M.J.C., Gibus et compagnie. Ensuite, on a rencontré un mécène… Kébra faisait du stop sur la route, un mec l’a pris, Kébra lui a parlé du groupe… Pat Kébra : Ce mécène s’appelait Christophe Bourragué, il venait d’hériter d’une somme d’argent. Comme il avait beaucoup d’argent, il s’est dit : “pourquoi pas la musique ?” Il nous a quand même sauvé la vie ! On s’est fait piquer tout notre matériel par la suite, et il nous a tout racheté… Joe Hell : C’était rigolo, c’était vraiment le hasard, et du coup, il a produit notre premier 45 tours, le cinq titres “Couleurs sur Paris”. Ce disque est sorti en 1981. Plus tard, on a rencontré Kiki Picasso qui faisait un fanzine qui s’appelait “Vinyl” dirigé par Pierre Thiolet. Ils avaient eu la bonne idée de mettre un disque souple dans le magazine, ce qui était assez novateur pour l’époque. Ils avaient entendu dire que l’on faisait une reprise de la Marseillaise et ça les intéressait. On a accepté et réalisé une interview. On sortait d’un conflit avec Alexis, manager de Taxi Girl, et on en avait gros sur la patate, alors elle a été saignante ! Mais ça, c’est déjà en 1983. Le premier auto produit, on l’avait mis en dépôt-vente chez New Rose, on en avait sorti 1.000 et c’est parti vraiment très vite. Et puis après c’est venu aux oreilles de Manoeuvre qui avait une émission qui s’appelait “l’impeccable”, je crois, qui parlait beaucoup de B.D. et de rock, et ils nous ont filmés en train de jouer la Marseillaise à la station de métro Oberkampf, en play-back…
Ça a dérangé beaucoup de monde… Vous avez eu des problèmes avec ce morceau ?
Joe Hell : Oui, des articles dans le Figaro et compagnie… Ça nous a surtout attiré un public à la con, pour ne pas dire nationaliste, qui croyait qu’on faisait vraiment un hommage, qui n’avait pas compris la dérision. On a eu, à une époque, pas mal de skins dans nos concerts, pas des plus tendres, qui n’avaient pas bien compris le nom non plus. Littéralement, ça veut dire “au-dessus du combat”. Après on a rectifié tout ça, et c’est devenu un petit peu la petite guerre entre la Souris et nous, par rapport à ça. Ça, ça nous a fait chier… Ensuite, on a enregistré Linda, toujours au studio W.W. Eux aussi en chiaient pas mal à l’époque, ça permettait de “les aider”, de sortir des enregistrements qu’ils avaient faits. Ce n’était pas un truc qu’on voulait sortir absolument à cette date, mais ça s’est souvent passé un petit peu comme ça. Même pour les clips qu’on a eus à l’époque, c’était toujours des fans qui faisaient ça, qui nous les montraient, tu imagines par exemple pour l’époque un dessin animé à la gouache, c’était du délire…
C’était le clip de “Fais Attention” ?
Pat Kébra : Oui, c’est ça, en 1983, il était passé au cinéma, il avait même eu des prix au festival d’Annecy. La réalisatrice s’appelait Hélène Verchère, elle a fait un boulot fantastique avec les “Joly Colors Kids”. Joe Hell : On a toujours eu des rencontres comme ça, j’ai par exemple reçu des planches de bandes dessinées, enfin plus élaborées que ça encore, qui illustraient nos chansons. C’était magique, tu te rends alors compte que les trucs que tu écris, que tu dis ou que tu chantes sont reçus par des gens… Ensuite, en 1984 on enregistre “Cris Sans Thèmes”… “Cris Sans Thèmes”, parce que c’était la fin. Là, il était temps que ça s’arrête… Quand on a décidé d’arrêter, ça a été un peu comme un abcès que tu crèves. Je me suis posé pendant un an. Trop de fatigue accumulée. Ensuite, il y a eu P.L.C. qui est arrivé…
Plein les couilles…
Joe Hell : Ouais, plein les couilles, parce qu’on commençait vraiment à en avoir plein les couilles.
Plein les couilles de quoi ? Joe Hell : Si tu veux, Oberkampf ne nous a jamais rapporté de thune, moi je bossais de mon côté. Je n’ai jamais arrêté de bosser en fait, parce que la manche, j’ai essayé mais bon, laisse tomber, tu me refuses une fois, deux fois, et après je perds mon self-contrôle… Et donc, plein les couilles parce que plein de refus, plein de dates annulées, ce n’était pas évident, et en même temps on mettait toute notre énergie là-dedans, on commençait à être un petit peu au bout du rouleau. Pat Kébra : Et P.L.C., c’est surtout une rencontre avec un studio, le studio Garage avec qui on a coproduit l’album. À cette époque-là, les maisons de disques ne voulaient pas de nous, et, on était obligés de faire tout nous-mêmes. Joe Hell : En fait c’est Pat qui s’occupait de la partie extra-musicale et qui gérait notre bizness il avait trouvé un petit bureau où il allait tous les jours avant de venir aux répétitions. Il recréait le travail d’une maison de disque, en plus artisanal bien sûr…. C’était le début de l’auto-production !! On allait voir directement, enfin en l’occurrence Kébra, les banquiers pour leur demander un prêt pour faire ceci ou cela… En fin de compte, une maison d’édition c’est aussi un banquier, c’est quelqu’un qui te prête de l’argent et qui le récupère… À partir de là, tu peux aller voir n’importe quel banquier.
On peut peut-être imaginer que les maisons de disques ont une autre approche ?
Joe Hell : Eh bien non figure-toi, on avait un meilleur accueil dans les banques… On est peut-être tombés sur des banquiers qui n’étaient pas vraiment contents de leur sort, peut-être des musiciens ratés, qui étaient contents de contribuer à quelque chose en tout cas. C’était marrant, on était les premiers surpris. En plus on ne se déguisait pas pour aller les voir, on arrivait comme ça avec notre press-book, peut-être que maintenant, il y aurait plus de répulsion à notre égard, je ne sais pas. Donc voilà, P.L.C., pour ne pas être trop graveleux, c’était un peu un hommage au L.A.M.F. [Like A MotherFucker, album de Johnny Thunders & The Heartbreakers, NDA]. Pat Kébra : L’arrivée de Ballat dans le groupe en 1983 pour l’enregistrement de PLC a donné au groupe une rigueur qu’il attendait depuis longtemps…
Vous tourniez beaucoup ?
Joe Hell : Pas plus que ça, mais en bossant, en faisant les répètes, les concerts, on avait, enfin au moins moi, un rythme de fou. Au début, c’était facile, mais plus tu avances dans les années plus ça devient dur. En plus, tous les concerts que l’on faisait, on les prenait comme si c’était le dernier. C’est toujours un de mes problèmes, parce que quand je fais une tournée, j’ai du mal à canaliser, en disant : “là il faut que je m’économise…” Ça, j’ai du mal, j’ai toujours l’impression que c’est le dernier, je ne sais pas comment expliquer ça, j’y travaille… Je suis réceptif à ce que l’on me donne, et quand le public est excité, je suis excité aussi et je n’arrive pas à me dire, “il ne faut pas que je m’excite trop, parce que j’ai une date demain”… Donc, 1985, soulagement.
Vous allez aussi sortir un live ?
Joe Hell : Le live est sorti après coup. Il a été enregistré au dernier concert qu’on a fait à Paris, à l’Eldorado. C’est le mec qui avait fait le son de “Cris Sans Thèmes”, qui l’avait enregistré. C’est du Revox… Qu’il a trituré ensuite en studio, avec bien sûr des problèmes de bandes, c’est pour ça que si tu écoutes le live, tu vois qu’il y a des bouts de morceaux… Comme d’hab’ quoi… Rires… Jusqu’au bout… À l’époque, les conditions de tournées, de concerts n’étaient pas les mêmes qu’aujourd’hui. C’étaient des salles des fêtes, qui n’avaient jamais vu un concert de rock de leur vie. La première fois qu’on a joué à Toulouse, c’était de la folie… La scène, c’était des tables mises côte à côte, ça faisait un peu salle de cantine, c’était n’importe quoi. Et ça, il y en avait plein. On a essuyé les plâtres de partout… Surtout en province… Et à Paris c’était un peu la même chose, il y avait le Gibus, le Rose Bonbon où l’on a pas mal joué, ça c’était le caviar…
Les squats ?
Pat Kébra : On n’a joué qu’une seule fois en squat, ce n’était pas notre truc de récupérer ce milieu ; d’autres le faisaient mieux que nous !
C’était une volonté ?
Joe Hell : On n’a jamais été un groupe militant, moi ce que j’avais à dire, je le disais dans mes chansons… Très vite, il y a eu plein de gens qui nous ont suivis, le groupe s’est fait assez rapidement remarquer, on faisait aussi des concerts sauvages dans le métro. On préférait faire ça plutôt que jouer dans des squats…
Quelle était l’organisation d’un concert comme ça ?
Joe Hell : Aucune organisation, c’était deux bagnoles, batterie, ampli, tout le matos, et on donnait rendez-vous au terminus de Boulogne. Dans toutes les stations de métro il y a des prises de courant, et tous les gens étaientau rendez-vous à telle heure, nous on était prêts et blam ! On faisait un concert, pas très long, il y avait moins de flics à l’époque, et quand on avait fini on remballait tout et on partait en courant, c’était excellent ! Ça c’était en 80. On se bougeait aussi parce qu’on n’avait pas la promo qu’il fallait non plus. C’est pour ça aussi qu’on a fait le Midem… C’est le gars qui avait produit notre premier 45 tours qui cherchait un distributeur, alors il nous a dit : “on n’a qu’à aller au Midem !” Pour nous, c’était complètement fou, c’était Babylone, qu’est ce qu’on allait foutre là-bas ?… Et, du coup, il nous a payé une semaine à l’hôtel à Cannes, whisky à gogo, et on a joué sur la grande scène du Midem avec Taxi Girl et Alice Cooper… On était vraiment dans la bergerie, Kébra ponctuait le concert de trucs genre “fuck the business”… Rires… Des bons souvenirs…
Par rapport aux gens qui avaient mal interprété votre Marseillaise, tu m’as parlé d’une mise au point. Sous quelle forme ?
Joe Hell : Elle s’est faite sur scène, en direct, en disant qu’on n’avait rien à foutre des nazillons, et qu’ils n’avaient rien à faire là. Par les fanzines, aussi, on a dû en dire deux-trois mots.
Vous tourniez plus en province qu’à Paris ?
Joe Hell : Non, mais en fait on n’a pas fait tant de concerts que ça… On n’avait pas ce système d’intermittence, donc quand tu partais c’était sur tes vacances ou des congés sans solde… Enfin, ça devait exister, mais pas pour nous… Pat Kébra : On n’en faisait pas assez, et puis on s’est jamais pris pour des artistes ! Plutôt des faiseurs de bruits !
Par rapport au texte, c’est toi qui écrivais tout ? Quelles étaient tes sources d’inspiration ?
Joe Hell : Je ne m’impose pas de sujet. Pour moi, la musique est un décor et je m’aventure dedans, tout simplement. Généralement, je commence par du yaourt, et après j’essaie de trouver des trucs intelligibles par rapport à ce que je pense au moment présent. Tout bêtement.
Je ne me suis jamais fait une liste où je me disais, il faut que je parle de ça, de ça, de ça. Ce n’est pas une rédaction. Pat amenait des riffs avec une mélodie en yaourt, des couplets-refrains, et on construisait le morceau ensemble… Les bonnes chansons ça sort très vite. Souvent le premier jet est le meilleur, comme l’huile d’olive ! Une bonne chanson doit s’écrire rapidement. Dès que tu commences à retoucher, change de morceau ! Et, si tu veux tout savoir, on en a chié des centaines, des changements de structures, de machins… Mais ça, tu le lis une fois que c’est fini…
Vous aviez quand même une musique atypique par rapport au reste de la scène française ?
Joe Hell : Oui, c’est vrai, mais on était quand même complètementinfluencés par des groupes comme les Ramones, Sex Pistols, ou les premiers Clash, Sham 69. Oberkampf a toujours essayé d’avoir un son à lui, moi avec mon phrasé… Dans les groupes français, celui qui m’a le plus influencé, c’était le chanteur de Métal Urbain… Clode Panik, c’est lui qui m’a vraiment donné envie de faire des trucs en français.
Quel est le déclic qui a fait que tu es rentré dans cette scène-là ?
Joe Hell : C’était l’époque qui voulait ça… Moi le punk m’est arrivé par un copain disquaire qui revenait de Londres et qui m’a fait écouter le premier 45 tours des Sex Pistols. Je n’étais pas du tout là-dedans, et je suis dit : “qu’est-ce que c’est que ça ??” Le disque était une chose, et après j’ai vu l’image du groupe aussi… Je n’étais pas du tout dans la musique avant… J’écoutais les disques de mon grand frère… J’ai vraiment pris ce truc dans la gueule. Il faut vraiment remettre ça dans son contexte ; en 1977 la musique c’était la disco, Genesis, Pink Floyd, les Stones vieillissants… En plus les Stones ce n’était pas ma musique, c’était celle de mon grand frère. Et là, j’ai vu leurs tronches, j’ai vu leurs looks, et je me suis dit : “c’est ça ! C’est ça que je pense !” Et donc du coup tu essaies de copier le look, tu te coupes les cheveux, et après, tu cherches ton truc. Je me suis fait violence, à l’époque j’étais super timide, discret, et ça a été pour moi une espèce de thérapie… Quand j’allais bosser avec mon iroquois, on me prenait pour un fou, mais c’était pas mal, je le conseille aux gamins de 20 ans ! Faites ça, ne faites pas comme les autres ! Même si aujourd’hui c’est plus facile. On a essayé plein de trucs, je me souviens qu’en 82 on était bien habillés, en petits mocassins blancs, on ne voulait pas d’uniforme. On essayait plein de trucs, se raser la tête, mettre la veste à l’envers… C’était marrant. Au Gibus, on se faisait un look, et 15 jours après, tu en avais plein qui revenaient avec le même look. C’était dingue. Et après le jeu, c’était de faire n’importe quoi, pour voir qui allait suivre. Et effectivement, il y avait un crétin moyen qui arrivait avec le même look… On s’amusait pas mal…
Tout ce fric… Tout ce fric, c’est la banque, qui prête à ceux qui ont des tunes et pas aux autres. Malheureusement il en faut… Si j’en avais, je ne ferai pas le con derrière ce micro ? C’est clair. Je crois que j’aurais été en porte-à-faux avec ça. J’aurais eu du mal à être plein de tunes et à aller crier ma révolte…
Payé armé
Maintenant c’est obsolète, le service militaire a disparu… C’est une chanson antimilitariste de base…
Maximum ?
Ben on voulait tout ! On voulait bouffer la terre entière, c’était ça. Et l’on pensait réellement qu’on pouvait changer quelque chose, en tout cas on le sentait, quand tu es dans le train comme ça, tu te dis putain, ça va bouger. Sans dire réellement ce qu’on voulait, mais est ce qu’on le savait vraiment ? Le maximum, c’est tout… Rires…
Fais attention ?
L’histoire c’était que moi, à 30 ans, je me voyais mort, je ne m’imaginais pas dépasser les 30 ans . Donc décider de vivre le plus au présent. J’avais vu un film qui s’appelait “va falloir vivre vite”, qui m’a largement inspiré…
Mes amis sont morts ?
À ce moment, ça commençait à être l’hécatombe,… Est-ce que c’était le début du sida, je n’en sais rien, il y avait beaucoup d’O.D…. En même temps, c’était logique aussi, mais ça fout toujours les boules quand tu as un pote qui meurt… On formait un peu une famille, et donc c’est un peu les mêmes sentiments que quand tu perds ton père ou ta mère. Après tu te retrouves seul et tu revois des souvenirs, des flashes. Une soirée de blues… Et après avec le sida, ça a vraiment été l’hécatombe…
Couleur sur paris ?
C’était un morceau pour déconner à la base. On faisait ce morceau-là en répète. Kébra avait trouvé le riff, et la mélodie avec les “na-na-na”, c’était un morceau très “clash” moi je déconnais, je chantais comme Strummer, on singeait les Clash pour se détendre, et c’est devenu “couleur sur paris”. Au début c’était du yaourt, et puis les paroles sont venues toutes seules. Mais c’était une joke au départ…